Le mythe de Faust en musique
De 1480 à 1540 environ vécut en Allemagne un Docteur Faustus, magicien et astrologue. De sa réputation sulfureuse naquit sans doute le mythe de Faust, le vieux savant vendant son âme au Diable.
Vers 1550, on voit apparaître les premières esquisses des futurs récits faustiens par Melanchton, disciple de Luther. (L'occasion d'accuser les catholiques pour la perte de l'âme de Faust).
1587 : Edition en allemand de « La véridique et horrifique Historia von Doctor Johann Fausten, le célèbre magicien et enchanteur ».
1588 : première traduction en anglais à Londres qui deviendra une pièce de Christopher Marlowe.
Faust est alors présenté comme un savant qui parvient à communiquer avec le Diable, qui se met sous son gouvernement en échange de son âme. Faust séduit une femme, l’abandonne et est jeté en Enfer.
Au XVIIème siècle, le personnage reste populaire en Allemagne à travers les farces, pantomimes et marionnettes.
A partir de 1770, on assiste à une résurgence du mythe. Le personnage de la comedia del arte devient un mythe puissant susceptible d’inspirer écrivains et artistes. Goethe lui donne une dimension titanesque. Il travaille 60 ans à cette vaste fresque comprenant l’Urfaust (Faust originel), le Premier Faust (1808) (le plus connu, qui raconte entre autre l'histoire de Marguerite/ Gretchen) et le Second Faust (1832).
Goethe introduit des dimensions nouvelles au mythe :
- Méphistophélès a lancé un défi à Dieu que celui-ci relève, persuadé que Faust sera sauvé par son aspiration constante à la connaissance.
- Faust est victime de son désespoir, de son aspiration à quelque chose de supérieur, que malgré toute sa science et tout son savoir, il ne parvient pas à atteindre, du fait de ses limites humaines. (C'est l'histoire de la pomme, fruit de la connaissance, ou d'Orphée aux Enfers : il y a certaines choses, certains mystères de la nature qui ne doivent pas être révélées aux humains.) Devant le silence de Dieu, le Créateur, Faust finit par invoquer son opposé, "l'esprit de négation". Lors que Méphisto vient à lui, Faust le met au défi de lui révéler ces mystères métaphysiques inaccessibles et de donner un sens à son existence. (On est loin de la simple aspiration à la jeunesse et à la jouissance véhiculée dans la version véhiculée par Gounod...)
- Opposition entre l’amour idéal de Marguerite et l’érotisme de la nuit de Walpurgis (un contraste qui fait un peu penser à la problématique du Tannhaüser de Wagner). Méphisto essaye de faire découvrir à Faust la jouissance sexuelle (c'est tout ce qu'il connaît) dans le cadre d'orgies comme celle de la nuit de Walpurgis, ou à travers la séduction d'une jeune femme pure, un "symbole féminin", Marguerite. Mais Faust ne peut s'empêcher de mêler à sa relation avec Marguerite un peu d'amour pur et de tendresse, ce qui fera finalement naître en lui des remords terribles, que Méphisto ne pourra effacer qu'au prix d'un sommeil de plusieurs années.
- Dans Le Second Faust, Goethe assure la rédemption de son personnage, après de nombreuses évocations mythologiques : Faust parvient en effet à trouver un sens à sa vie à travers la quête de la Beauté, symbolisée par Hélène de Troie, incarnation de la beauté grecque antique. De leur mariage naîtra un fils merveilleux, Euphorion, union de la Beauté grecque et du génie romantique allemand, qui subira malheureusement le sort d'Icare.
Dans la dernière partie de sa (seconde) vie, c'est à travers l'action et la création que Faust parviendra à s'épanouir pleinement. En asséchant des marais, il tentera de construire une cité nouvelle et idéale. Il mourra avant d'avoir pu terminer son oeuvre, mais son aspiration permanente à l'élévation, sa quête insatiable des mystères du monde et de la vie, permettront à Dieu de le soustraire aux griffes de Méphisto, malgré que celui-ci soit finalement parvenu à remplir son contrat : donner un sens à la vie du Docteur Faust.
Les ouvrages de Goethe rencontrèrent un succès immense et se diffusèrent rapidement dans tout l’Europe, notamment en France grâce à l'excellente traduction de Gérard de Nerval.
Quelques grandes oeuvres musicales inspirées du mythe de Faust :
Hector Berlioz, La Damnation de Faust, (1846)
Robert Schumann, Scènes de Faust (1853)
Franz Liszt, Faust Symphonie (1854)
Richard Wagner, Faust Ouvertüre (1840)
Charles Gounod, Faust (1859)
Arrigo Boito, Mefistofele (1868)
Gustav Mahler, Symphonie 8, 2ème mouvement (1920)
Ferruccio Busoni, Doktor Faust (1925)
Je vous propose une redécouverte en musique du mythe de Faust, à partir d'une sélection personnelle...
La Solitude de Faust :
Gounod :
Faust, vieux et seul dans son cabinet de travail, se rend compte qu'il est arrivé au terme de sa vie, et que malgré toute une existence de recherche et de labeur, il n'a pas réussi à percer le mystère du monde : "Je ne vois rien, je ne sais rien".
Méditation de Faust
Boito : "Dai campi, dai prati" (Acte I, Scène 2)
Le Faust de Boito est dans un tout autre état d'esprit. Resté seul, il est encore plein de "l'amour de Dieu et de l'amour des hommes" et enclin à la méditation.
L'apparition de Mephisto :
Elle prend des formes variées : ironique chez Berlioz "O pure émotion, enfant du Saint Parvis", théâtrale chez Gounod "Ne suis-je pas mis à ta guise ? L'épée au chapeau, la plume au chapeau, l'escarcelle pleine, un riche manteau sur l'épaule, en somme, un vrai gentilhomme !".
Chez Boito, elle se fait grandiose et métaphysique.
Boito "Son lo spirito che nega" "je suis l'esprit qui nie"
La Cave d'Auerbach à Leipzig
Méphisto et Faust quittent le cabinet de travail du Docteur.
Le Diable lui a fait des promesses et est parvenu à le motiver en lui dévoilant l'image magnifique d'une jeune femme : c'est Marguerite.
Faust se dit que la vie vaut peut-être d'être vécue... chez Gounod, c'est à ce moment qu'il signe le pacte, afin de retrouver la jeunesse. "A moi les plaisirs, les jeunes maîtresses" s'exclame-t-il ! (Le Faust de Gounod n'est pas vraiment porté sur la métaphysique...)
Première étape du "voyage initiatique" proposé par Méphisto : une taverne allemande où Faust pourra profiter à loisir des joies de l'enivrement et des chansons paillardes... une expérience de la médiocrité, que Faust, qui aspire à l'élévation, n'apprécie guère.
Méphisto quant à lui s'amuse comme un fou, et chante à tue-tête des histoires de puces, ou de veaux d'or...
La chanson de la puce:
Moussorgsky
Berlioz (La Damnation de Faust)
Gounod : Le Veau d'or
La Chambre de Marguerite et le jardin
La chanson du Roi de Thulé
Marguerite est seule chez elle et déjà troublée par sa première rencontre avec Faust (rajeuni), soit dans la rue (Gounod), soit en rêve (Berlioz), chante une chanson "gothique" à la tonalité très nostalgique. Elle raconte l'histoire d'un vieux roi du royaume légendaire de Thulé resté fidèle à sa belle jusqu'à la mort. Il a avait gardé en gage de son amour une coupe en or dans laquelle il but une dernière gorgée avant de s'éteindre.
Les compositeurs ont été très inspirés par ce poème de Goethe. En voici quelques versions :
Lied de Schubert "Es war ein König in Thule"
Berlioz (La Damnation de Faust) - Le Roi de Thulé
Gounod : "Il était un roi de Thulé"
Franz Liszt, Lied "Der König in Thule"
Robert Schumann (Choeur)
Faust dans la chambre de Marguerite
Faust est en place pour séduire Marguerite. Malgré qu'il n'y ait aucune ambiguité quant à son dessin final, ses pensées s'élèvent : il ne peut s'empêcher de s'émerveiller devant la sérénité du lieu et la pureté de la jeune fille.
Berlioz :
"Merci doux crépuscule"
Gounod "Salut demeure chaste et pure"
Le duo d'amour
Gounod : "O nuit d'amour"
Schumann :
Berlioz : "Ange adoré"
Faust dans les forêts et cavernes
Berlioz "Nature immense"
Faust a quitté Marguerite et s'émerveille devant l'immensité et la puissance de la nature. Son hymne à la nature prend une dimension cosmique :
Marguerite abandonnée :
Marguerite au rouet
Faust est parti mais Marguerite espère toujours voir arriver son amant, se souvenant de ses paroles et ses baisers. Elle file désespérément et le bruit de son rouet accompagne sa chanson triste et passionnée. Car ce n'est pas un chant de remords, mais bien de passion amoureuse !
Lied de Schubert :
Loewe :
Gounod : "Il ne revient pas"
Berlioz "D'amour l'ardente flamme"
La Marguerite de Berlioz n'a pas de rouet, mais son grand air n'en est pas moins bouleversant :
L'Eglise
Gounod :
Marguerite, tourmentée, tente de trouver refuge dans la prière. Mais elle a perdu son lien avec Dieu. Elle ne parvient plus à prier, et ne rentre désormais plus en contact qu'avec sa négation, le Diable, qui s'est faufilé dans l'Eglise où elle est assaillie par les esprits malins.
Schumann :
Sérénade de Méphisto :
Méphisto prend un malin plaisir à taquiner la pauvre Marguerite par des sérénades d'un goût douteux.
Gounod : "Vous qui faites l'endormie"
Berlioz : "Devant la maison de celui qui t'adore"
La Nuit de Walpurgis
Méphisto entraîne Faust dans le sabbat des Sorcières, pendant la nuit de Walpurgis. Il proclame son mépris pour le monde avant qu'ils ne mêlent tous les deux à l'orgie.
Boito : ronde infernale
"Ecco il mondo"
La Course à l'abîme
Mais la fête est interrompue : Faust a une vision terrible de Marguerite. Elle doit être exécutée. Elle aurait tué sa mère (par excès de somnifères) ou son enfant selon les versions.
Faust supplie alors Méphisto de la sauver. C'est à ce moment que dans la version de Berlioz, Faust signe le terrible pacte.
Méphisto l'entraîne alors dans une chevauchée effrénée sur un cheval volant qui ne l'emporte pas auprès de Marguerite mais directement en enfer où l'accueillent les démons dans un terrible chant écrit dans une langue "démoniaque". C'est le Pandaemonium.
Berlioz
La Prison:
Boito "L'altra notte in fondo al mare"
Marguerite est en prison. Ici, elle est accusée (apparemment à tort) d'avoir tué mère et enfant, et sent désormais sa raison s'envoler.
L'Apothéose de Marguerite :
Chez Gounod, Méphisto guide bien Faust vers Marguerite, afin qu'il puisse la libérer : le Diable a perdu tout pouvoir sur Marguerite car elle a perdu la raison et s'est "déconnectée" du monde réel. Seul une "main humaine", celle de Faust, peut la sortir de sa prison.
Mais Marguerite les voit désormais tels qu'ils sont tous les deux. Elle repousse Faust et remet sa vie et son âme à Dieu, un abandon total et une lucidité qui lui vaudront la rédemption.
Gounod : "Christ est ressuscité"
Berlioz : "dans le ciel"
Chez Berlioz, Marguerite est sauvée "pour avoir beaucoup aimé".
Le Second Faust:
La mort de Marguerite a beaucoup affecté Faust. Méphisto le plonge dans un sommeil de plusieurs années, afin qu'il puisse oublier le passé et reprendre un nouveau départ. Dans le Second Faust, le Docteur fera l'expérience du pouvoir (il rencontre l'Empereur), de la Beauté classique (Hélène de Troie), et de l'action.
Faust a l'occasion de voir le fantôme d'Hélène de Troie et demande à Méphisto de l'aider à la trouver. Ce qui n'est pas sans difficulté pour un diable allemand chrétien qui n'a aucun pouvoir dans le monde antique. Faust finit pas réussir à rencontrer Hélène, ce qui donnera à Boito l'occasion d'écrire un superbe duo d'amour.
La Mort de Faust
Boito : "Giunto sul passo estremo"
Faust est arrivé au terme de sa vie. Poussé par Méphisto, il pense à de nouveaux projets : créer une ville nouvelle, où les gens vivraient heureux... C'est sa dernière vision (et son dernier air) mais il abandonne et finit par se tourner vers Dieu et implorer son pardon, ce qui lui vaudra la rédemption. (c'est la version Boito, chez Goethe, seul la mort lui fera abandonner sa quête).
La Transfiguration de Faust
L'histoire n'est pas finie. Il y a débat dans les sphères célestes. Faust n'ira pas en Enfer, mais doit-il entrer au Paradis ? Plusieurs Saints vont intercéder en sa faveur :
Schumann : Intercession de Docteur Marianus
Final : Choeur mystique " Alles vergangliche ist nur ein Gleichnis"
Mais une âme aura le dernier mot : c'est celle de Marguerite, la femme aimante qui prie pour le salut de Faust. Mais elle n'est plus une petite ouvrière allemande, celle est devenue une figure universelle et métaphysique : "L'Eternel Féminin".
" Tout ce qui passe n’est que symbole
L’Imparfait ici trouve l’achèvement
L’Ineffable ici devient acte
L’Eternel féminin nous entraîne là-haut."
Schumann :
Mahler :
Franz Liszt
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