Les relations parents-enfants à l'opéra
Un article sur les relations entre les parents et leurs enfants ? Mais quelle idée saugrenue me direz-vous ? Peut-être pas autant que cela… et pas seulement parce que « O mio babbino caro », « O mon petit Papa chéri » de Gianni Schicchi est un des airs les plus célèbres du répertoire lyrique, pas seulement parce que les malheurs de Rigoletto et de sa chère Gilda ont fait le tour du monde, mais parce que c’est tout simplement une des thématiques essentielles de tout le répertoire lyrique. Et bien sûr, les relations entre les parents et leurs enfants reflètent les mœurs et modes de pensées des compositeurs et de leurs époques.
Que représentent les enfants pour les personnages d’opéra ? Plusieurs choses. D’abord, la tendresse et l’amour… L’enfant est là pour apporter soutien et affection à des parents souvent par ailleurs isolés, veufs et dans des situations difficiles : que ce soit le bouffon Rigoletto, l’ouvrier de Louise de Charpentier, ou même le Comte dans Les Vêpres siciliennes. Ce type de parents a donc de grandes exigences vis-à-vis de ses enfants et voit parfois également d’un mauvais œil l’arrivée d’un ou d’une concurrente sentimentale. Les pères ont en particulier du mal à voir grandir leur fille.
Mais l’enfant peut être bien d’autres choses encore : un instrument de vengeance par exemple… surtout quand il est aussi perçu comme étant l’enfant de l’autre. Il représente un moyen radical pour frapper son ennemi au cœur. Mais il peut aussi hériter d’un devoir de vengeance de ses parents morts… car l’enfant représente aussi à l’opéra l’honneur de la famille à laquelle il est toujours lié, même s’il en est le dernier représentant vivant. Ainsi Hamlet et Elektra sont obsédés par le fait de devoir venger leurs pères, ainsi Charlotte repousse Werther suite à une promesse faite à sa mère sur son lit de mort. L’enfant se doit d’être digne de l’honneur de cette famille par son respect des règles morales mais aussi son comportement et ses actions concrètes… et pour certains parents, cela compte bien plus que son bonheur.
Enfin, l’enfant, surtout quand il est présenté comme très jeune, représente avant tout le futur, l’espoir. A de rares exceptions près, dans les œuvres conçues plutôt pour un public lui-même enfant, les rôles d’enfants sont quasiment inexistants ou très limités. Ils sont toutefois importants dans le sens où leur existence a un impact sur la vie et les décisions des personnages principaux du drame : leurs parents. Les parents agiront presque toujours en fonction de ce qui leur parait bon pour l’avenir de leur progéniture, de leur lignée… que ce soit pour préserver leur vie, leur honneur, ou leur destinée.
Voici donc un panorama de quelques-uns des opéras où la question des relations entre les parents et leurs enfants est au cœur du drame.
1. Infanticides
Commençons par la problématique la plus radicale : celle de l’infanticide…
a) Au service de la vengeance
- Le « complexe de Médée »
En psychanalyse, il s’agit d’un complexe se manifestant chez les femmes/les hommes qui cherchent à punir leur mari/épouse en s’en prenant à leurs enfants…
Et le mythe de Médée a été plusieurs fois mis en musique…
Médée, Charpentier
Médée est une tragédie lyrique française en cinq actes et un prologue, composée en 1693 par Marc-Antoine Charpentier pour l'Académie royale de musique, avec un livret de Thomas Corneille (le frère de Pierre).
Pour échapper à la vengeance d’Acaste, roi de Thessalie, Jason et Médée ont trouvé refuge à Corinthe chez le roi Créon. Médée soupçonne Jason de trahison. Bientôt plus aucun doute n’est permis : Jason est amoureux de la fille de Créon, Créuse, qu’il veut épouser. Médée s’abandonne à la fureur de la jalousie en invoquant le secours de l’Enfer. La terrible magicienne enduit de poison une robe destinée à Créuse. Elle plonge Créon dans la folie et elle se résout à tuer les enfants qu’elle a eus avec Jason pour parachever sa vengeance. Créon se suicide, Créuse meurt empoisonnée dans les bras de Jason qui apprend de Médée qu’elle a tué leurs propres enfants. Abandonnant Jason à son désespoir, la magicienne s’envole dans les airs en contemplant Corinthe en proie aux flammes.
Médée, Cherubini
Médée est un opéra-comique en trois actes de Luigi Cherubini créé le 13 mars 1797 au théâtre Feydeau à Paris.
Rare exemple de tragédie alternant numéros chantés et dialogues en alexandrins, le style musical de cette œuvre réalise une fusion inédite entre la tragédie classique de l'école française et le modèle que représente l'école italienne. L’histoire est globalement la même que celle de Charpentier, et finit tout aussi mal : Abandonnée par Jason qu’elle a aidé à récupérer la toison d’Or et pour lequel elle a tué son frère. Elle a aussi tué l’usurpateur du trône de Jason. Mais Jason décide d’épouser Glauce, la fille de Créon. Médée remet à Glauce un vêtement et un diadème empoisonné. Glauce meurt et Jason désespéré veut arrêter Médée qui se réfugie dans le temple puis en ressort flanquée des trois Furies et brandissant le poignard ensanglanté avec lequel elle a tué ses deux enfants. Elle met le feu au temple. Médée promet au malheureux Jason abattu : « Je vais à la rivière sacrée ! Mon ombre t'y attendra ! ».
En voici le final :
Norma, Bellini
Norma est un opéra en deux actes de Vincenzo Bellini, sur un livret de Felice Romani, d'après la tragédie d'Alexandre Soumet Norma ou l'Infanticide, créé à la Scala en 1831.
L’histoire de Norma, située en Gaulle sous occupation romaine, est un avatar du mythe de Médée. La grande prêtresse Norma, abandonnée par son amant romain Pollione dont elle a eu deux enfants, pense à les tuer… pour se venger de Pollione mais aussi pour leur épargner une vie de souffrance et d’esclavage.
Dans l’opéra, elle renonce finalement à tuer ses enfants… Cela n’était pas présentable sur une scène lyrique italienne à l’époque !
- Quand les enfants adoptifs deviennent des instruments de vengeance
Il y a à l’opéra également plusieurs exemples d’enfants adoptés spécifiquement au service d’une vengeance personnelle. Souvent, ces parents adoptifs ont une relation complexe avec ces enfants qui représentent pour eux la progéniture de leurs ennemis. Mais ils les ont aussi élevés, ce qui a aussi fait naître en eux une certaine affection filiale.
Le Trouvère, Verdi
Il Trovatore est un opéra de Verdi d'après le drame espagnol El Trovador (1836) d'Antonio García Gutiérrez, créé à Rome en 1853.
La gitane Azucena a voulu venger sa mère condamnée au bûcher par le Comte de Luna. Elle a, à cet effet, enlevé un des enfants du Comte pour le jeter dans le bûcher. Mais, prise par la folie, elle s’est trompée de bébé et a jeté dans le feu son propre bébé. Azucena a donc finalement élevé l’enfant du Comte comme le sien. Trente ans après il est devenu Manrico, Le Trouvère. Elle l’aime (sans doute) comme un fils, mais n’oublie pas qu’il doit toujours être l’instrument de sa vengeance. Elle sera finalement exaucée puisque Manrico sera exécuté… par son propre frère. Nous ne saurons pas vraiment lequel de ces sentiments prédominait chez Azucena : l’amour filial ou la volonté de vengeance. « Mi vendica ! », ne cesse-t-elle de murmurer à destination de Manrico, incapable de comprendre de quoi elle parle…
Voici la scène où il raconte son calvaire à son fils adoptif, sans toutefois lui expliquer le fin mot de l'histoire :
La Juive, Halévy
La Juive est un grand opéra en cinq actes de Fromental Halévy, sur un livret original d'Eugène Scribe créé à l'Académie royale de musique (salle Le Peletier) le 23 février 1835.
Le thème de La Juive est un peu similaire : les deux fils du juif Eléazar ont été exécutés par le prince Brogni. Pour se venger, Eléazar décide d’enlever l’enfant de Brogni, qu’il élève comme sa propre fille dans la foi juive, sous le nom de Rachel.
Vingt ans après, Rachel sera condamnée à mort par ce même Brogni devenu Cardinal… et Eléazar ne révèlera l’identité de la jeune fille que lorsqu’il sera trop tard…
Eléazar, qui aime vraiment sa fille adoptive, aura toutefois un moment de doute, qui lui donnera l’occasion de chanter l’air le plus beau et le plus célèbre de l’opéra : « Rachel quand du Seigneur ».
Quand le devoir de vengeance retombe sur les enfants…
Parfois, ce sont les enfants qui héritent d’un devoir de vengeance, après la mort de leurs parents.
C’est le cas Donna Anna qui jure de venger le meurtre de son père Le Commandeur dans Don Giovanni de Mozart (1787). Lorsque, en duo avec son fiancé Don Ottavio à l’acte I, ils jurent de venger le Commandeur, ils semblent tous les deux obéir à un devoir pénible : « Che giuramento o Dei, che barbaro momento. » La situation de Donna Anna est d’ailleurs ambiguë, car elle se sent peut-être responsable de la mort de son père qui a combattu contre Don Giovanni pour sauver l’honneur de sa fille… Ce projet de vengeance, qui sera finalement réalisé par le Commandeur lui-même, semble apporter à Donna Anna plus de tristesse et d’abattement que de rage et d’énergie.
La rage, par contre, est omniprésente dans l’Elektra de Richard Strauss. Celle-ci veut venger le meurtre de son père Agamemnon… en tuant son beau-père et sa mère Clymnestre ou du moins en attendant désespérément que son frère Oreste s’en charge. (Nous reviendrons plus loin sur cette œuvre.)
Dans La Flûte Enchantée, la Reine de la Nuit exige de sa fille qu’elle tue Sarastro et récupère pour sa mère le disque solaire, symbole de pouvoir, qui lui a été volé… sous peine d’être a jamais reniée… C’est ce qu’elle dit de manière si sympathique dans son air célèbre : « Tu ne seras plus jamais ma fille, que soient brisés à jamais tous les liens de la Nature ». (voir ici la présentation vidéo que j’ai faite de cet air)
Dans l’opéra d’Ambroise Thomas, Hamlet (1868) d’après Shakespeare, le prince danois doit venger son père assassiné par son frère qui voulait lui prendre sa couronne et sa femme …
Comme dans Elektra, le devoir de vengeance retombe sur le fils qui apprend l’horrible vérité par la voix du fantôme de son père… Le même fantôme lui demande de tuer son beau-père mais d’épargner sa mère… Hamlet, personnage faible, aura bien du mal à exécuter cette vengeance.
La principale victime collatérale de cette histoire sera la fiancée d’Hamlet, Ophélie… dont le père aurait participé au meurtre de l’ancien roi, et qui se suicide, désespérée par le rejet de celui qu’elle aime.
Une très belle version intégrale de cette oeuvre est disponible ici :
b) Sacrifices aux Dieux
Les sacrifices aux Dieux représentent une des causes les plus importantes d’infanticide dans les histoires antiques… parmi les plus célèbres : celle d’Iphigénie sacrifiée par Agamemnon pour permettre le départ des Grecs pour Troie.
Iphigénie en Aulide (1774), Gluck
Iphigénie en Aulide est une tragédie lyrique créé à Paris le 19 avril 1774, à l'Académie royale de musique. Diane exige le sacrifice de la fille d’Agamemnon pour permettre à la flotte grecque de partir pour Troie. Iphigénie accepte son sort par amour pour son père. Clytemnestre fera tout pour empêcher le sacrifice jusqu’au bout (et elle en gardera tellement rancune à son mari qu’elle le tuera à son retour de la guerre… et sera elle-même tuée par son fils Oreste, mais c’est une autre histoire…)
Cette œuvre met donc en scène un conflit entre ambition politique et affection filiale : le sacrifice ultime, celui de sa descendance, est le prix qu’Agamemnon doit être prêt à payer pour la gloire de combattre contre Troie. Il est prêt à payer ce prix, mais pas sa femme… Voici l'air de Clytemnestre :
Jephté de Montéclair (1732)
Encore un vœu imprudent, une histoire biblique sera le sujet de cette tragédie lyrique : Contre la certitude de gagner une bataille, Jephté a promis à Dieu de lui sacrifier la première personne qui viendrait à sa rencontre à son retour… et cette personne sera sa fille… qui acceptera finalement d’être sacrifiée… (Il faut le comprendre de manière symbolique : devenir prêtresse et ne pas perpétuer la lignée familiale).
Quand les pères ont peur d’être supplantés par leurs fils…
Idomeneo, re di Creta (1781) est un opera seria en trois actes de Mozart, sur un livret en italien de Giambattista Varesco, d’après la tragédie lyrique d’André Campra, Idoménée publiée en 1712 et inspirée du mythe antique d'Idoménée.
Dans cette histoire, la situation est double : il s’agit ici encore d’un conflit entre devoir religieux et politique et affection filiale, mais aussi, de manière sous-jacente d’une peur inconsciente du père d’être détrôné et remplacé par son fils, à la fois politiquement et sentimentalement, une peur de l’homme plus âgé d’avoir à céder la place à un homme plus jeune, alors qu’il se sent encore dans la force de l’âge, et qu’il veut vivre. Dans l’autre sens, cela pose aussi la question de la volonté inconsciente du fils de prendre la place de son père.
De retour de la guerre de Troie, Idomenée, roi de Crète, a fait, pour échapper à la tempête, le vœu imprudent de sacrifier la première personne qu’il rencontrerait sur la plage. Cette première personne sera son fils. Il cachera pendant tout l’opéra l’identité de la personne à sacrifier, faisant tout pour l’éloigner de la Crète. Finalement, suite à la colère de Neptune, il est amené à révéler le nom de la victime.
Idamante, vainc le dragon envoyé par Neptune avant de se proposer lui-même en sacrifice.
Chez Mozart, l’oracle de Neptune intervient pour sauver Idamante, selon la règle de l’opera seria et Idomenée abdique pour son fils.
Dans la tragédie lyrique de Campra, Idoménée, dans un accès de folie, tue lui-même son fils. C’est une vengeance de Vénus sur un des vainqueurs de Troie.
A cela s’ajoute chez Campra une histoire de rivalité amoureuse père-fils beaucoup plus claire que chez Mozart : Idomeneo prévoyait d’épouser Illione, fille de Priam, qui est, elle, amoureuse d’Idamante. Chez Mozart, il n’y a aucun projet de mariage entre Idomenée et Illia (Illione)… Toutefois cette dernière ne cesse de répéter au Roi qu’elle le considère comme son père… le message est passé !
Air d'Ilione, Campra
Air d'Idoménée "Fuor del mar", Mozart
Les enjeux de cette histoire sont nombreux :
Ce sont un père et un fils qui ne se connaissent pas (ils ne se reconnaissent pas sur la plage…) et l’histoire de la succession difficile d’une génération à l’autre.
Pendant l’absence d’Idoménée, le fils a pris sa place et a agi comme un roi. Il a notamment libéré les Troyens arrivés en captifs. Il y a donc conflit entre l’ancien et le nouveau monde… Idoménée a voulu survivre à tout prix et n’est pas prêt à céder la place. Idoménée, par son vœu même inconscient, rappelle Chronos qui avale ses fils car on lui a prédit que l’un d’eux le détrônerait…
Restons dans l’Antiquité et évoquons un autre cas d’infanticide : celui d’Hippolyte par son père Thésée.
Hippolyte et Aricie est une tragédie lyrique inspiré de Phèdre de Racine (1733).
Phèdre aime son beau-fils Hippolyte. Quand on lui annonce que son époux Thésée est mort, Phèdre fait à son beau-fils, des avances qui sont repoussées. Furieuse, Phèdre accuse Hippolyte d’avoir tenté de la séduire. Thésée, de retour des Enfers, croit que son fils a courtisé sa belle-mère. Il réclame à Neptune (son père), le sang d’Hippolyte… et celui-ci est immédiatement englouti par un monstre marin.
Thésée veut mourir mais on apprend qu’Hippolyte a été sauvé par Diane (la fin heureuse s’éloigne ici de la triste version de Racine…) Phèdre par contre, s’est suicidée.
Finalement, comme dans Idoménée, on retrouve cette peur du père d’être supplanté par son fils, en l’occurrence dans le lit de sa femme…
Autre exemple flagrant de rivalité à la fois amoureuse et politique : la relation entre le roi Philippe II et l’Infant Don Carlos… Ici encore, le père a doublement peur d’être supplanté par son fils.
Don Carlos est un « grand opéra à la française » en cinq actes de Giuseppe Verdi, d'après la tragédie Don Carlos de Friedrich von Schiller, créé le 11 mars 1867 à l'Opéra de Paris. Don Carlo (sans s) correspond à une version remaniée ultérieurement par Verdi sur un livret italien en cinq ou quatre actes.
Le roi Philippe II mène une guerre contre les Flamands en Espagne, Flamands dont Don Carlo va décider de défendre la cause. La crise politique se cristallise au moment de la grande scène de l’autodafé. Philippe II refuse de céder à son fils l’autorité sur les territoires Flamands, de peur qu’il ne s’en serve contre lui : « Tu veux que je te donne à toi le fer qui tôt ou tard, immolerait le roi ». Et Don Carlo lève de fait le fer contre le roi son père et est immédiatement arrêté.
Ce conflit politique se double d’un conflit amoureux : il y a dans cette œuvre un contraste permanent entre la jeunesse, un peu exaltée de Don Carlo, et les « cheveux blancs » du roi Philippe Il. Celui-ci a épousé la fiancée de son fils, et pense, à tort que celle-ci le trompe, avec Don Carlo… Il sait du moins que sa femme ne l’aime pas.
Mais Elisabeth est une reine, et une femme sage. Même si elle accepte de recevoir « son fils », c’est pour essayer de le raisonner, notamment dans le grand duo : « Je viens solliciter de la Reine une grâce »… Le duo se termine sur un cri de détresse de celle-ci : « Eh bien donc, frappez votre père, et venez de son meurtre souillé, traîner à l’autel votre mère ». « Fils maudit » répond Carlo. Tout est dit !
Finalement, le roi demandera à l’Inquisition l’autorisation officielle de faire tuer son fils… et Don Carlo n’échappera à la mort que par l’intervention magique et symbolique de… son grand-père Charles Quint.
Duo Don Carlos-Elisabeth, version française :
Confrontation Don Carlos - Philippe II
L’histoire de Don Carlo nous amène à aborder une question plus vaste : celle des relations père-fils dans l’œuvre de Verdi.
2. Les relations père-fils chez Verdi
La question des relations parents-enfants est essentielle chez Verdi, mais diffère énormément selon que l’enfant est un garçon ou une fille. En effet, si les pères verdiens se distinguent généralement par un attachement souvent étouffant pour leurs filles, elles-mêmes très aimantes, la relation avec le fils est souvent beaucoup plus conflictuelle.
Luisa Miller : Le Comte Walter, autoritaire et manipulateur
Luisa Miller est un opéra de Giuseppe Verdi présenté pour la première fois à Naples en 1849, d’après Kabale und Liebe de Schiller. Il est considéré comme un tournant dans le style verdien.
Les pères verdiens sont généralement extrêmement autoritaires et supportent rarement que leur progéniture ne se montre pas soumise et obéissante. Ils ne font généralement aucun cas des sentiments de leurs fils. L’honneur de la famille passe avant tout.
Le vieux Miller, ancien soldat, vit seul avec sa fille unique Luisa, dans une modeste demeure, dans un village sous l’autorité féodale du Comte Walter.
Le fils du Comte, Rodolphe, tombe amoureux de Luisa, et voudrait l’épouser… mais cela ne fait pas, bien pas les affaires du Comte Walter, qui a de grands projets d’alliance politique pour son fils. Il s’est déjà sali les mains, trempant dans un assassinat, pour récupérer ce Comté et assurer ainsi l’avenir de son fils. Il usera donc de tous les subterfuges pour empêcher une mésalliance : arrêtant le père de Luisa, Miller, il fera pression sur la jeune fille pour qu’elle écrive une fausse lettre faisant croire qu’elle en aime un autre.
Sa punition sera la mort de son fils unique, qui se suicide après avoir empoisonné Luisa, la femme qu’il aimait.
Luisa meurt dans les bras de Miller, autre figure paternelle, bien différente de Walter, dont nous parlerons tout à l’heure.
Voici l'air de Walter (basse)
"Je donnerais mon sang et ma vie pour le voir heureux et puissant
Mais cet ingrat s'oppose à mes voeux et à mes ordres...
Les douceurs de l'affection paternelles se sont transformées en supplice pour moi"
La Traviata : pour l’honneur de la famille
La Traviata est un opéra en trois actes de Giuseppe Verdi créé le 6 mars 1853 à La Fenice de Venise sur un livret de Francesco Maria Piave d'après le roman d'Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias (1848) et son adaptation théâtrale (1852).
Voici encore une relation père-fils très intéressante : celle de Giorgio Germont avec son fils Alfredo Germont. Cette fois-ci, nous sommes dans un milieu bourgeois du XIXème siècle. Mais il s’agit encore pour Alfredo de faire honneur à sa famille, par ses fréquentations, mais aussi son comportement.
Giorgio Germont doit ruser pour remettre son fils dans la bonne voie, ce fils qui a trouvé le moyen de vivre avec une courtisane, déshonorant sa famille, et empêchant par là même sa sœur de faire un mariage respectable. Germont père, qui visiblement n’est pas parvenu à convaincre son fils, décide donc de se rendre chez la courtisane en question et comprend vite pour quel angle d’attaque il doit opter : il en appelle aux sentiments de Violetta, l’orpheline, qui croit trouver en lui un nouveau père. « Qual figlia m’abbracciate » « Embrassez-moi comme votre fille », crie la malheureuse… Si Violetta veut devenir une « fille bien », elle doit renoncer à Alfredo, ce qu’elle fera, quitte à en mourir… mais avant qu’elle ne meure, Giorgio acceptera de l’embrasser comme sa fille.
Avant cela, Violetta, obéissante, abandonne Alfredo, et reprend donc sa vie antérieure, avec fêtes et amants… Le jeune homme apprenant cela, pense que Violetta l’a trahie, et, l’ayant suivie à la fête, la traite officiellement de prostituée et lui jette de l’argent au visage… Ce faisant, il se fait immédiatement rabrouer par son père également présent : « on ne traite pas une femme ainsi ! » crie-t-il ! Sans commentaire… Bien sûr, nous sommes d’accord qu’au final, c’est ici le comportement rétrograde du père que Verdi dénonce avant tout.
Voici le très bel (et très conventionnel) air de Germont "Di Provenza; il mare il suol..."
"Qui t'a fait oublier ton sol natal ?"
I due Foscari : quand la politique ne fait pas bon ménage avec les sentiments filiaux.
I due Foscari est un opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, sur un livret de Francesco Maria Piave, créé à Rome en 1844.
Voici un opéra un peu plus ancien de Verdi qui met en scène une fois de plus un père et son fils, en l’occurrence Francesco Foscari, doge de Venise, octogénaire et son fils Jacopo Foscari. Dans cette œuvre assez sombre, l’amour filial est paradoxalement remis en cause par l’impuissance politique du père, le Doge, qui doit assister à l’exil et à la mort de son fils, chassé de Venise suite à un faux témoignage.
Les Vêpres Siciliennes : Politique et liens du sang
Les Vêpres siciliennes est un grand opéra en cinq actes de Verdi, sur un livret d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier créé le 13 juin 1855 à l'Opéra de Paris salle Le Peletier.
Dans cette œuvre, la haine du fils pour son père se nourrit d’un conflit politique, et a été en outre insufflée par la mère.
Bon, tentons de résumer encore un Grand Opéra à la française : nous sommes en Sicile, qui est à l’époque (1282) sous occupation française (les Angevins très précisément).
Henri (Arrigo) aime la duchesse Hélène (Sicilienne et sœur du duc Frédéric d'Autriche… pour les détails historiques, je vous invite à consulter Wikipédia !) et dont le frère a été tué par les Français. Hélène demande à Henri de venger son frère.
Le Français Guy de Montfort, gouverneur de Sicile relit une lettre de la mère d'Henri, exécutée depuis dix mois. Il apprend qu’il est le père d'Henri (il avait en effet violé cette femme quelques décennies auparavant). Il est si heureux d’avoir un fils ! Il l’exprime dans un grand air : « Au sein de la puissance, un vide affreux immense régnait seul dans mon cœur ».
Henri, convoqué, apprend la vérité concernant son père et il est horrifié… Celui-ci est français ! Sa chère Hélène va le détester ! Il refuse de reconnaître Montfort comme son père, au grand désespoir de celui-ci.
Mais le soir, un bal masqué a lieu … et Henri empêche ses amis siciliens conjurés de tuer son père. Ils sont arrêtés et déportés à la forteresse. Henri les rejoint pour tenter de se disculper. Bon, Hélène qui lui conserve son amour… mais leurs projets de révolte sont compromis. Montfort arrive pour annoncer l'arrivée du bourreau et fait le chantage suivant à Henri : soit celui-ci le reconnait publiquement comme son père, soit ses amis sont exécutés. Le fils finit par céder et Montfort, tout heureux annonce les noces entre Henri et la duchesse Hélène.
On prépare le mariage. Les conjurés prévoient en fait de déclencher une insurrection contre les Français pendant la fête. Dès que les cloches sonneront, le massacre des Français commencera. Hélène, effrayée, décide de ne pas se marier, et retire sa parole au grand désespoir d'Henri. Mais Montfort arrive et ordonne que le mariage ait lieu. Les cloches sonnent et les Français sont massacrés. (Un sujet parfait à présenter à l’Opéra de Paris, n’est-ce pas ? C’est sans doute la raison pour laquelle cet opéra n’a pas connu un succès phénoménal à sa création !).
Bref, pour résumer, le fils se trouve pris dans un conflit entre l’amour d’une femme et son devoir envers son père. Le père par contre, cherche l’amour de son fils qu’il a enfin retrouvé.
Voici le très bel air de Montfort par Thomas Hampson :
Robert Le Diable, Meyerbeer
Cela nous amène finalement à un autre personnage cherchant désespérément l’affection de son fils, dans une œuvre non verdienne cette fois-ci (mais encore un Grand Opéra français).
Robert le Diable est un opéra en cinq actes de Meyerbeer sur un livret d'Eugène Scribe et Germain Delavigne. Adaptée de la légende médiévale de Robert le Diable, l’œuvre est le premier opéra de Meyerbeer pour l’Opéra de Paris.
Bertram est un démon qui s’est pris d’une affection irrépressible pour son fils Robert. Mais son chef Satan a été clair : Bertram devra se séparer à jamais de son fils s’il ne parvient pas à le damner avant minuit.
Bertram se comporte en bon père aimant : il apprend à son fils tout ce qu’il sait de la vie : le mal… mais c’est sans compter sur l’influence positive de la mère… Le fils sera donc torturé entre ces deux influences contraires.
Voici une des grandes scènes de Bertram, il se prépare à son "rendez-vous" avec le Roi des Anges déchus.
3. Relations mère-fils : Ange ou Démon…
Voyons maintenant la question des relations des fils avec leurs mères … Qui sont généralement bonnes… quand celle-ci sont des « mammas » protectrices… et qu’elles ne s’avisent pas de trahir leurs maris, même post-mortem, avec des hommes plus ou moins recommandables…
La mère comme figure tutélaire et protectrice :
Même absente, éloignée ou morte, la mère est souvent perçue par son fils comme une figure protectrice. A l’opéra, son influence positive peut parfois être relayée par une jeune fille, comme Micaela dans Carmen ou Alice dans Robert le Diable.
Dans Carmen de Bizet, Micaela qui se présente à Don José avec une lettre de la mère de celui-ci, incarne le sérieux, la pureté, celle qui montre le bon chemin, par opposition à la sulfureuse Carmen.
Cela est encore plus flagrant dans l’opéra Robert Le Diable de Meyerbeer.
Comme nous l’avons déjà évoqué, Robert est le fils d’une femme vertueuse et d’un démon, Bertram. Il sera en permanence torturé par cette ambivalence, et déchiré entre ces deux pôles d’attraction, l’un négatif, incarné par son père, présent à ses côtés et qui cherche à le damner, l’autre positif, incarné par la pure Alice, messagère de sa mère décédée.
A la fin, il doit clairement faire un choix entre les deux… et n’y parvient pas vraiment… Seul le temps jouera à la défaveur du père : Robert hésite tant et si bien, que minuit sonne et Bertram est définitivement englouti aux Enfers sans être parvenu à damner son fils.
Voici le final : Robert lit une lettre de sa mère qui l'incite à ne pas faire confiance à Bertram, Alice l'incite à écouter, et Bertram essaie de convaincre son fils de partir aux Enfers avec lui.
Cavalleria Rusticana, Mascagni (1890)
Voici un autre exemple de mère à laquelle on a recours… comme un enfant ayant fait une bêtise… et pour le coup, Turriddu a fait une grosse bêtise puisqu’il a accepté un duel avec le mari de sa maîtresse. Un peu ivre, un peu désespéré, il demande à sa « mamma » de le bénir et de le protéger… mais cela ne suffira pas… c’est l’air final de ce bouleversant petit opéra « vériste ».
Notons au passage que la mère passe alors souvent avant la fiancée :
« J’étais déjà fils avant de t’aimer, ta souffrance ne peut m’arrêter » dit Le Trouvère dans son grand air « Di quella pira »… alors qu’il s’apprête à risquer sa vie pour sauver sa mère, au moment même où il va se marier avec Leonora.
Le Prophète, Meyerbeer
Le Prophète est un grand opéra en cinq actes de Giacomo Meyerbeer sur un livret d'Eugène Scribe et Émile Deschamps d'après l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756) de Voltaire. L’intrigue est basée sur la vie de Jean de Leyde, chef protestant des anabaptistes et auto-proclamé « roi de Sion ». L’action se déroule au XVIe siècle à Dordrecht en Hollande et à Münster en Allemagne.
Un des rôles principaux de cette œuvre est celui d’Inès, la mère du « Prophète ». L’histoire en est longue et compliquée (c’est du Grand Opéra !)… mais pour faire vite, notons que Jean a une fiancée, Berthe… que le seigneur local Oberthal trouve à son goût. Il tente de l’enlever, mais Berthe a réussi à s’échapper, grâce à Jean qui lui a indiqué une cachette. Oberthal demande à Jean de lui livrer sa fiancée ; s’il refuse, sa mère Fidès sera assassinée sous ses yeux. Lorsqu’il constate que le comte va mettre sa menace à exécution, Jean décide de livrer Berthe. Celle-ci est capturée par les soldats…
La mère essaie en vain de consoler son fils… Jean rencontre ensuite trois Anabaptistes qui déclarent attendre le Prophète qui les délivrera de cette tyrannie… et ils sont persuadés qu’il s’agit de Jean. Celui-ci les suit…
Après divers massacres, revers et victoires militaires contre les armées impériales, Jean finit par être momentanément vainqueur et est couronné comme « Prophète ». Sa mère le retrouve et l’appelle… mais lui ne peut pas la reconnaître, car il est censé être fils de Dieu… il passerait alors pour un imposteur. Il la fait passer pour folle et l’oblige à reconnaître devant l’assistance qu’elle a menti…
Finalement, il retrouve sa mère dans le caveau où elle est retenue prisonnière et lui explique tout. Suite un très long duo, il accepte de renoncer à être Prophète pour obtenir le pardon de sa mère (il a aussi du sang sur les mains !). De toute façon, il a été trahi par ses amis anabaptistes qui ont laissé entrer les troupes ennemies de l’Empereur. Ils mourront dans les bras l’un de l’autre (Berthe s’est déjà suicidée depuis longtemps quand elle a appris que son fiancé était l’horrible « Prophète »).
Voici quelques rares extraits vidéos de cette oeuvre :
La mère « dépravée »
Les relations des fils avec leurs mères sont beaucoup plus tendues quand la mère n’est pas perçue comme « vertueuse » mais comme une « prostituée » comme on le disait à l’époque… c’est-à-dire quand la mère ne peut être associée à la Vierge Marie.
C’est le cas par exemple dans l’opéra Lucrezia Borgia de Donizetti (1833)
Dans cette œuvre librement inspirée de la légende noire (et calomnieuse) de la malheureuse Lucrèce Borgia, celle-ci a eu un fils, Gennaro, qu’elle n’a pu reconnaître mais qu’elle surveille d’un œil attendri. Comme tous les jeunes gens de sa génération, Gennaro voue à « la Borgia » une haine farouche, et ne se prive pas de le crier haut et fort. Furieuse des insultes de ces hommes, Lucrèce décide de se venger en empoisonnant lors d’une soirée tout le groupe de jeune gens… sans savoir que son fils en fait partie.
Gennaro, mourant, est horrifié d’apprendre qu’il est le fils de la Borgia… et Lucrèce n’a plus qu’à se lamenter, dans un grand air de bel canto… d’être responsable de la mort du fils qu’elle aimait tant.
Voici Lucrèce admirant son fils qui dort :
Come'è bello ! Quale incanto
Et le final :
L’image qu’Hamlet, Elektra ou encore Salomé (de Richard Strauss aussi) ont de leurs mères est assez similaire … car ce sont des femmes qui en se remariant, ont trahi les mémoires de leurs défunts maris… sans parler du fait que leurs nouveaux époux ont parfois les mains couvertes de sang…
3. Les relations mère-fille
Les relations entre les mères et leurs filles sont souvent conflictuelles à l’opéra… la mère voyant toujours un peu sa fille comme une concurrente (comme les pères avec leurs fils d’ailleurs…).
Il existe un exemple de relations harmonieuses entre une mère et sa fille dans La Gioconda de Ponchielli… mais peut-être est-ce parce que la mère est aveugle (La Cieca) et donc dans une situation de dépendance vis-à-vis de sa fille. Sinon, les relations sont presque toujours tendues, voire très tendues… On a déjà cité La Reine de la Nuit qui n’hésite pas à vouloir sacrifier sa fille Pamina… désobéissante en la promettant au méchant Monostatos.
Prenons l’exemple le plus frappant, celui d’Electre.
Elektra est un opéra en un acte de Richard Strauss. Le livret a été écrit par Hugo von Hofmannsthal, d'après sa pièce de théâtre éponyme créée en 1903. Elektra est une réécriture pour un public contemporain de la pièce de Sophocle.
Electre n’a pas supporté le meurtre de son père Agamemnon par sa mère Clytemnestre et Egisthe, l’amant de celle-ci, et vit dans un perpétuel désir de vengeance.
Adepte du « tout ou rien », inconsolable absolue, Électre vue par Sophocle est l’une des personnalités les plus fortes de tout le répertoire tragique grec. On peut la comparer avec l‘Antigone du même auteur dans la fermeté des convictions et le courage sans limite. Mais Antigone agit dans le sens de l’amour. Électre tourne ses regards vers le « côté obscur », avec une seule finalité, une obsession même, qui tient de la pathologie : venger son père et se débarrasser de meurtriers impies doublés de tyrans odieux. Une autre différence notable avec Antigone, sa rage continuelle, ses éruptions verbales, voire sa morbidité, qui n’ont rien à voir avec le calme, la « force tranquille » de l’héroïne thébaine qui marche au supplice avec une fière résignation.
Toutefois, Électre a en commun avec Antigone la certitude d’être dans son bon droit, et elle n’éprouve visiblement aucun remords à réaliser avec Oreste son plan terrible. Le remords se reportera sur Oreste harcelé par les Erynnies après avoir tué sa mère.
La grande scène de confrontation entre Elektra et Clytemnestre dans l’opéra est particulièrement impressionnante… Difficile de voir une fille haïr sa mère à ce point.
Voici l'intégralité de l'oeuvre sous-titrée.
7'45 : "Allein, Ganz allein... Agamemnon", monologue d'Elektra
Vous pouvez aussi regarder la confrontation entre Elektra et sa mère vers 38'30
4. Les relations père-fille à l’opéra
La question des relations père-filles à l’opéra est la plus riche et peut-être la plus intéressante.
Faisons le point : au final les filles sont généralement des filles aimantes, autant qu’elles le peuvent, et ont d’instinct une tendresse filiale très poussée, même pour des hommes qu’elles connaissent souvent à peine.
Mais les pères n’ont pas toujours les comportements et réactions adéquats, surtout quand il s’agit de gérer les pulsions amoureuses de jeunes adolescentes… Disons qu’ils ont du mal à voir grandir leurs enfants.
Pour l’honneur de sa fille :
Tamerlano, Haendel
Voici une relation père-fille assez originale, et un brin… démodée dirons-nous :
Tamerlano est un opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel sur un livret en italien de Nicola Francesco Haym. La première représentation eut lieu le 31 octobre 1724 au King's Theater de Londres. L'origine du texte était la pièce de Nicolas Pradon intitulée Tamerlan, ou La Mort de Bajazet. L'intrigue s'inspire de l'histoire de Tamerlan et du sultan ottoman Bajazet qu'il a vaincu et fait prisonnier.
Le sultan Bajazet aime profondément sa fille Asteria, prisonnière elle aussi… mais cet amour signifie avant tout la volonté de protéger son honneur plus que sa vie. Il lui offre même un poison pour qu’elle puisse se suicider.
Asteria, qui ferait tout pour plaire à son père, choisit toutefois d’utiliser le poison pour essayer de tuer Tamerlan… en vain… action qui lui vaudra par ailleurs l’admiration de son père Bajazet : elle est fidèle à son sang ottoman et fait honneur à sa famille. Finalement, Bajazet se suicidera seul, non sans regretter de pouvoir tuer sa fille pour lui éviter la honte de vivre en esclave. Finalement, Tamerlan, ému par cette mort, pardonnera à la jeune fille et la laissera épouser celui qu’elle aime.
Voici un extrait de la mort de Bajazet par Domingo :
Quand le père vend sa fille
Autre type de père maintenant… celui qui vend sa fille… ou l’utilise pour enrichir ou ennoblir la famille. Quelques exemples :
Dans Le Hollandais Volant (Der Fliegende Hollander) de Wagner, le capitaine norvégien Daland promet sa fille au Hollandais volant en l’échange de ses trésors… même s’il ne sait rien de lui.
Dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, le riche bourgeois Pogner promet sa fille au gagnant d’un concours de « Maîtres Chanteurs »: il en fait une question d’honneur personnel : il veut être considéré comme un grand mécène et veut prouver en quelle estime il tient l’art des maîtres.
Dans Arabella de Richard Strauss, le père compte sur sa fille pour faire un bon mariage qui permettra de rétablir les finances de la famille, mises à mal notamment par son goût du jeu. Heureusement pour lui, Arabella va tomber amoureuse d’un homme riche, auquel il va soutirer de l’argent avant même le mariage…
Dans Le Chevalier à la Rose, de Richard Strauss, le riche bourgeois Faninal vend sa fille Sophie, tout juste sortie du couvent, à un aristocrate lubrique, le baron Ochs, pour récupérer la particule et montrer à tout le quartier qu’il est désormais affilié à la noblesse. C’est uniquement une question de prestige familial, sans aucun respect pour le dégoût que ressent sa fille pour le Baron. Evidemment, cela ne va pas se passer comme il le souhaite… Il finira par se consoler quand la Maréchale lui proposera une balade commune en calèche, au vu et au su de toute la bonne société viennoise.
La faiblesse des pères :
Il existe aussi à l’opéra une catégorie finalement assez répandue de pères, qui tout en aimant profondément leurs filles, font preuve d’une faiblesse de caractère parfois fatale.
Lear, Reimann
On connaît l’histoire des trois filles du Roi Lear… une histoire qui fascinait Verdi mais que finalement il n’est jamais parvenu à mettre en musique. Finalement le drame de Shakespeare fera quand même l’objet d’un opéra, composé en 1978 par le compositeur allemand Aribert Reimann pour le grand baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau et sa femme Julia Varady.
En Écosse, au Moyen Âge, le Roi Lear, las de régner, partage son royaume entre ses trois filles, Goneril, Regan et Cordelia. Trompé par les mensonges des deux premières, Il réalise trop tard que, parmi ses trois filles, seule Cordelia l’aime sincèrement… Cordélia qui va finir par mourir dans ses bras, alors que ses deux autres filles n’ont fait que mépriser et humilier leur père.
Cendrillon de Massenet : Dans cette version du conte, le père de Cendrillon est aimant mais faible, et se soumettant à sa nouvelle femme, ne parvient pas à protéger sa fille.
Cenerentola de Rossini : au passage, dans la version rossinienne du même conte, Cendrillon n’a plus de parents : sa mère est morte. Elle n’aura de cesse de faire que son horrible beau-père la considère finalement comme sa fille.
Turandot, Puccini
Autre exemple de père aimant mais faible… mais dans un autre sens : l’Empereur de Chine dans Turandot. Contrairement à l’usage qui veut que les vieillards soient des basses, celui-ci a d’ailleurs une voix de fragile ténorino. Il a juré à sa fille se faire ses quatre volontés… Or celles de Turandot sont bien cruelles : elle impose des énigmes à tous ses prétendants… sous peine de mort. Personne n’est encore parvenu à résoudre les énigmes, et l’Empereur a malgré lui, bien du sang sur les mains… mais il est incapable d’arrêter le massacre.
Pères protecteurs :
Certains pères protègent toutefois efficacement leurs filles :
Gianni Schicchi, Puccini
Nous connaissons tous l’air célèbre de Lauretta “O mio babbino caro”… Ce qui veut dire “mon cher petit Papa”… Tout est dit : Gianni va tout faire, même prendre la place d’un mort pour rédiger un faux testament, afin que sa fille soit assez riche pour épouser celui qu’elle aime !
Les Puritains de Bellini (1835)
Dans cet opéra, l’oncle Giorgio, républicain, (qui se substitue ici au père) accepte que sa nièce Elvira épouse celui qu’elle aime Arturo, royaliste alors qu’il appartient à un camp politique opposé (situation originale pour un opéra romantique). Ce sera la fuite d’Arturo avec la Reine et sa condamnation par le Parlement qui seront des obstacles à leur amour… et pour une fois, le malheur ne vient pas de la famille ! Tout arrive…
A propos de pères qui cherchent à protéger leurs filles, je vous invite également à la découverte de ce très bel opéra de Charpentier ;
Louise, Charpentier
Ce roman musical », sur un texte et une musique de Gustave Charpentier, a été créé à l’Opéra-Comique en 1900… A l’époque, ce « Zola en musique », fait scandale… et semble un hymne à la débauche ! Il s’agit d’une sorte de « Vérisme musical’ » à la française un peu ambigu, un « essai de réalisme musical » qui serait, dit-on, autobiographique : Charpentier, musicien, donc artiste bohème, serait dans sa jeunesse tombé amoureux d’une petite couturière de Montmartre, fille d’ouvriers, qu’il n’aurait jamais rendue aux siens…
Louise est la fille unique d’un couple d’ouvriers : le Père (il n’a pas d’autre nom) travaille dur à l’usine pour faire vivre sa famille et la Mère passe ses journées à faire le ménage, la lessive et la vaisselle… Bref, leur vie n’est pas bien gaie, mais le Père est heureux, car il a sa femme et surtout sa fille chérie, qui lui lit le journal tous les soirs et à laquelle il offre des poupées. Il ne voit malheureusement pas qu’elle a grandi. Le Père a déplacé son « droit au bonheur » sur son foyer.
Louise travaille en tant que couturière, et est tombée amoureuse de son voisin, Julien, qu’elle voit comme un preux chevalier qui pourra la délivrer de la tour dans laquelle elle se sent enfermée par ses parents, et surtout un bohème qui ne travaille pas… contrairement à son père et sa mère. Il lui promet une vie d’oisiveté. Paris l’attend et lui offre l’amour et le plaisir ! Elle sera sacrée « Muse de la Bohème et Reine de la butte » par le Pape des Fous… la vie peut être belle à Paris pour les filles qui sont « jolies »…
Le père accepterait volontiers un mariage pour faire plaisir à sa fille, mais la mère refuse catégoriquement : le garçon est un dépravé. Leur fille mérite mieux. Donc… Louise s’enfuit, et quitte son foyer pour les bras de Julien. Le Père, désespéré, tel Demeter privée de sa fille, fait une dépression, et la Mère vient finalement la chercher en la suppliant de sauver son père.
Elle revient donc, mais changée… en manque de liberté. Le Père tente de ressusciter l’enfant. Il lui chante des berceuses ; « O Louise, reviens à toi ». Mais sa fille lui est devenue étrangère. Elle se dresse déchaînée contre lui comme une furie. Il ne s’agit plus de Julien, qui de toute façon, ne veut pas l’épouser, mais de liberté, d’une autre vie que celle que ses parents ont à lui proposer. Le Père, pour la première fois autoritaire, renonce à la frapper, mais concentre toute sa violence dans le fait d’ouvrir la porte… et la chasse de la maison.
Cette œuvre est ambiguë… le spectateur ne sait vraiment pas pour qui prendre parti : le père dont la vie est bien pénible, a bien mérité d’avoir une fille aimante, et qui veut lui éviter le malheur que la vie de Bohème ne peut que lui apporter à terme, et la fille qui ne veut pas de la dure vie de labeur que ses parents lui offrent ?
Voici le très bel air du Père dans l'acte III
L'intégralité de l'oeuvre est disponible ici :
Quand la fille guide son père
Oedipe, Enesco
L'histoire d'Oedipe, qui tue par erreur son père et épouse sans le savoir sa mère est connue et suffisamment bouleversante pour avoir été récupérée pour le meilleur et pour le pire par la psychanalyse. Mais ce que l'on sait un peu moins, c'est que Oedipe, après s'être lui-même crevé les yeux, sera guidé par sa fille Antigone qui le suivra fidèlement dans son exil. Il obtiendra finalement le pardon des Dieux... (C'est d'ailleurs ainsi que les terribles Erinyes devinrent finalement les Euménides, divinités bienfaisantes.)
Un opéra de Georges Enesco sur ce sujet a été créé en 1936 à Paris.
Belisario, Donizetti
Nous retrouvons cette même thématique dans Belisario, un opéra de Donizetti créé en 1836 à Venise.
Le preux Bélisaire est parvenu à sauver l'Empire de Justinien des attaques des barbares... mais pour sauver sa patrie, il a aussi, suivant les mauvais conseils d'un devin, tenté de faire tuer son propre fils. Du coup, sa femme lui en veut mortellement et fomente un complot contre lui... complot qui conduira l'Empereur à faire aveugler le pauvre Belisaire et à l'envoyer en exil. Sa fille, Irene, heureusement, sera son guide... jusqu'à ce qu'il retrouve son propre fils, qui bien sûr, n'est pas mort mais conduit tout simplement... les armées barbares.
La relation père-fille chez Verdi
Venons-en aux pères verdiens… puisque finalement c’est le cœur de notre sujet ! Verdi avait dans sa jeunesse, perdu en l’espace d’une année, ses deux jeunes enfants et sa première femme… ensuite, il adoptera une fille avec sa seconde épouse. Est-ce pour cela que la relation père-fille tient une place si importante dans son œuvre ? Difficile à dire, mais visiblement, le sujet le passionne. Et ses pères sont souvent, disons, un peu envahissants !
Nabucco
Opéra de Giuseppe Verdi créé en 1942 sur un livret de Temistocle Solera.
Tout a commencé avec le premier grand succès de Verdi, Nabucco, qui met déjà en scène un père baryton, avec sa progéniture. En l’occurrence, le roi de Babylone a deux filles, l’une légitime et l’autre non : Fenena et Abigaille. Fenena, nommée régente par son père, décide de libérer tous les Hébreux qui avaient été faits prisonniers (elle est amoureuse de l’un d’eux…). Abigaille, quant à elle, est décidée à tout faire pour s’emparer du trône.
Nabucco, qui se prend un instant pour un Dieu, est foudroyé par Yahvé. Il perd toute agressivité et devient un peu amorphe. Abigaille prend le pouvoir. Elle menace Nabucco de tuer Fenena. Celui-ci supplie en vain pour la vie de sa fille préférée et demande pitié pour elle. Il s'avance à la fenêtre et voit avec horreur sa fille enchaînée. Désespéré, il court à la porte, tente en vain de l'ouvrir et, se rendant enfin compte qu'il est prisonnier, s'adresse au Dieu de Juda pour invoquer son aide et implorer son pardon. C’est son amour pour sa fille qui le rend humain, lui rend son humilité, et le remet dans la bonne voie. Yahvé lui pardonne, lui redonne son agressivité… et il reprend le pouvoir. Abigaille finalement s’empoisonne et Fenena épouse celui qu’elle aime… et tout finit bien !
Voici le passage où Nabucco implore Yahvé :
Luisa Miller : le premier grand duo père-fille
Nous avons déjà évoqué le cas de Luisa Miller… qui doit abandonner son amour pour sauver la vie de son père. Celui-ci la supplie alors de s’enfuir avec lui dans un splendide duo « andrem ramighi e poveri ». Ils seront pauvres mais libres et vivants… et surtout il aura sa fille à ses côtés, son bâton de vieillesse.
Mais ce sera impossible… car elle est finalement tuée par Rodolfo qui l’empoisonne… et meurt dans les bras de Miller, comme Gilda plus tard dans les bras de Rigoletto.
Remarquons en particulier le grand air de Miller : « le choix d’un époux est sacré », qui manifeste le refus de Miller d’imposer un époux à sa fille, et qui marque l’opposition entre deux types de pères : l’un aimant et compréhensif et l’autre, le père de Rodolphe, le Comte Walter, autoritaire et manipulateur.
Bon, d’accord, la seconde partie de l’air de Miller, la cabalette, remet les choses en place également… « Je veux que son honneur soit sans tâche », « rend la fille intacte à son père ». Sacrés pères verdiens…
Voici l'intégralité de l'oeuvre sous-titrée. Vous pouvez écouter le duo dont je parle à partir de 1'44'30
Rigoletto, Verdi
Rigoletto est un opéra de Verdi, sur un livret de Francesco Maria Piave, d'après la pièce de Victor Hugo Le roi s'amuse, créé le 11 mars 1851 au théâtre de la Fenice à Venise.
Quand on parle de relations père-fille à l’opéra, le premier titre qui vienne à l’esprit est bien entendu celui de Rigoletto… et à raison puisque cette œuvre contient les plus beaux duos père-fille de tout le répertoire lyrique.
Nous sommes à la Renaissance, normalement à la cour de François 1er, mais bon, pour des raisons de censure, tout ceci a été transposé en Italie, à la cour du Duc de Mantoue. Rigoletto est un bossu, le bouffon du Duc. Il vit dans un univers complètement dépravé dont il aimerait protéger sa chère fille Gilda, tout juste sortie du couvent. Il la tient donc bien cachée, l’empêchant de sortir… mais bien sûr, cela ne suffit pas… la jeune fille va quand même à la messe, où elle croisera justement le duc de Mantoue qui s’empressera de la séduire et de la déshonorer. Finalement, la vengeance de Rigoletto retombera sur la fille amoureuse qui mourra dans les bras de son père.
Cette histoire lamentable sera le prétexte à plusieurs splendides duos. Gilda, fille aimante, est en quête de son identité, puisqu’elle ne connait pas le nom de son père, et se précipitera sur le premier nom qui lui sera donné, un faux nom, donné par le Duc. Trop protégée du monde, elle n’en connait rien, et tombe dans le premier piège venu, tombe follement amoureuse du premier beau parleur venu… et ne peut qu’invoquer la protection de sa mère morte en mourant.
L'intégralité du très beau film de Ponnelle est disponible avec sous-titres :
Voici le premier duo entre Gilda et Rigoletto
Et le second duo, après que Gilda ait été déshonorée:
Simone Boccanegra
Simon Boccanegra est un opéra en un prologue et trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d'après une pièce d'Antonio García Gutiérrez, créé le 12 mars 1857 au théâtre de La Fenice à Venise.
Cet opéra de Verdi est un peu moins connu, même si c’est un pur bijou. Il met en scène deux figures de père :
Fiesco (basse), est un père très autoritaire, inflexible, pour lequel l’honneur de sa fille Maria compte plus que sa vie. Il l’enfermera chez elle, jusqu’à la faire mourir de chagrin. Dans son air du Prologue « Il lacerato spirito », il semble plus se lamenter sur le fait que sa fille ait perdu son honneur que sur fait qu’elle soit morte… (par sa faute d’ailleurs).
Simon Boccanegra, l’amant de Maria, devenu doge de Gênes entre-temps, ne refera pas la même erreur avec sa propre fille. Il saura lui donner l’homme qu’elle aime, même s’il est d’un camp politique opposé…
Voici un duo père fille particulièrement attendrissant (Version vidéo sous-titrée en allemand).
Boccanegra, devenu Doge de Gênes, rencontre une jeune aristocrate qui lui déclare qu'elle est en fait une jeune orpheline qui a été recueillie... scène de reconnaissance : c'est sa fille, et Amelia lui saute au cou comme si elle l'avait toujours connu !
Père autoritaire et sévère : l’honneur passe avant tout
Linda di Chamounix
C'est un des derniers opéras de Donizetti, créé pour l'Opéra de Vienne en 1842.
Linda est une jeune fille pure, adorée de ses parents... qui l'envoient pourtant à Paris pour la protéger des prétentions lubriques d'un des nobles locaux. Mais arrivée à la capitale, Linda ne trouve rien mieux que de se faire héberger par son "amoureux", noble également. En toute innocence ou pas ? Ce n'est pas très clair... mais quand son père l'apprend, il pique une crise de rage et maudit la pauvre fille qui en perd la raison !
Voici cette scène de folie :
L'intégralité de l'oeuvre est disponible ici :
La Force du Destin
Dans cette œuvre de Verdi (1862), le père de Leonora rappelle le Fiesco de Simone Boccanegra : l’honneur de la famille passe avant tout… un sens de l’honneur poussé jusqu’au fanatisme, et dont héritera Don Carlo le frère de Leonora. Mais ici, c’est la faiblesse et l’hésitation de la jeune fille, Leonora, élevée de manière très stricte qui conduiront à la catastrophe.
Leonora aime le bel Alvaro. Mais sa famille ne veut pas de lui car il est mulâtre (c’est tout simplement le dernier descendant des Incas sur les bords). Elle veut bien s’enfuir avec lui, mais a également honte de trahir son père. A force de tergiversations, ils se feront surprendre… et Alvaro sera amené à tuer, par accident, le père de celle qu’il aime…
Pendant tout le reste de l’opéra, le frère Don Carlo, n’aura de cesse de les poursuivre, s’hésitant par vouloir tuer sa propre sœur pour venger l’honneur de sa famille.
Aida : Quand le père utilise sa fille et la manipule pour des raisons politiques.
Aida est un opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, sur un livret d'Antonio Ghislanzoni d'après une intrigue d'Auguste-Édouard Mariette, créé le 24 décembre 1871 à l'Opéra khédival du Caire.
Voici encore un autre type de père verdien : Aida est une prisonnière éthiopienne en Egypte, et amoureuse du chef des armées égyptiennes, Radamès. Son père, le roi d’Ethiopie, Amonastro, va utiliser l’amour de sa fille pour le chef égyptien pour obtenir des informations militaires cruciales. Alors qu’Aida hésite à trahir celui qu’elle aime, Amonastro utilisera alternativement la tendresse et la menace, évoquera l’amour de la patrie, mais aussi le fantôme de sa mère, tuée par les Egyptiens, dans un duo particulièrement poignant. Aida finira par céder… entraînant la perte de Radamès qui mourra enterré vivant (avec elle…).
Pères autoritaires :
Dans la même lignée, en dehors de Verdi, voici quelques exemples de pères particulièrement… stricts, et notamment pour des raisons religieuses :
Lakmé, Delibes, 1883
Lakmé est un opéra en trois actes de Léo Delibes d’après le roman de Pierre Loti, créé en 1883 à l'Opéra-Comique de Paris.
L'histoire se déroule à la fin du XIXe siècle sous la domination britannique en Inde. Beaucoup d'Hindous ont été contraints par les Britanniques à pratiquer leur religion en secret.
La jeune indienne Lakmé a rencontré un jeune militaire anglais qui ne l’a pas laissée indifférente. Son père, le brahmane Nilakantha a compris, aux réticences de Lakmé, que le temple a été souillé par un de ces étrangers qu'il hait. Afin de retrouver celui qu'il a voué à sa vengeance, il parcourt le village voisin du temple, déguisé en mendiant et suivi de sa fille, grâce à laquelle, pense-t-il, l'intrus se démasquera (C’est le moment du fameux « air des clochettes »). Mais il a remarqué la tristesse de Lakmé et il en souffre (« Lakmé, ton doux regard se voile »). « C’est que Dieu de nous se retire, c’est qu’il attend la mort du criminel »)… Finalement, Lakmé va réussir à sauver celui qu’elle aime… et va se suicider en réalisant qu’il ne restera jamais avec elle…
Voici le très bel air du père :
Norma, Bellini
Nous avons déjà évoqué le sujet : le père de Norma, le chef religieux gaulois Oroveso est particulièrement sévère… Il laisse condamner sa fille Norma au bûcher, pour n’avoir pas respecté son vœu de chasteté… Mais en plus, il hésite à recueillir les enfants de Norma et Pollione… Il faudra que Norma le supplie dans tout son grand air final, pour que finalement, Oroveso réalise que ce sont tout de même ses petits enfants…
Mireille, Gounod
La jeune et riche arlésienne Mireille aime le pauvre vannier Vincent et veut l'épouser... mais ce n'est évidemment pas du goût de son père qui entend bien faire preuve de son autorité de père...
Voici le final de l'acte II : "Un père parle en père, un homme parle en homme... le chef de famille autrefois était le maître... et quand Noël voyait devant la table sainte, s'asseoir l'aileul avec sa généraiton, le doux vieillard calmait toute rébellion et faisait taire toute plainte, en versant sur des fils, sa bénédiction. mais que l'un d'eux osât braver sa loi suprême, Dieu juste, il l'eût tué peut-être..."
5) La place des enfants à l’opéra
a) L’avenir des enfants : des êtres en devenir
L’histoire de Norma aborde également une autre problématique : celle de l’avenir des enfants.
Ici, l’infanticide est perçu par la mère comme un service rendu à ses enfants dont l’avenir est mis en danger par l’abandon de leur père. Norma, pense, en tuant ses enfants, leur épargner une vie de souffrance et d’esclavage sous la coupe d’une marâtre.
Finalement condamnée au bûcher, avec Pollione, pour avoir trahi son vœu de chasteté, sa dernière supplique sera d’ailleurs à destination de son père Oroveso, qu’elle aura bien du mal à convaincre d’adopter ses petits-enfants…
Cette question de l’avenir des enfants se pose également, sous des formes diverses, dans d’autres œuvres lyriques. Ce sont avant tout des êtres en devenir. Evoquons quelques cas :
Madame Butterfly est un opéra de Giacomo Puccini, sur un livret de Luigi Illica et de Giuseppe Giacosa, représenté pour la première fois le 17 février 1904 à la Scala de Milan.
Cio-Cio San attend désespérément le retour de l’Américain Pinkerton dont elle a un enfant… Elle ne sait pas qu’il est désormais marié pour de bon à une Américaine. Si Pinkerton ne revient pas, que deviendra l’enfant ? Métisse, il ne sera jamais accepté dans la société japonaise de l’époque, et elle devra redevenir geisha pour le nourrir.
La seule solution est qu’il parte avec son père aux Etats-Unis… même si pour cela, sa mère doit l’abandonner, et se suicider…
Final par Renata Tebaldi "Tu ne sauras jamais que c'est pour tes yeux clairs que meurt Butterfly, pour que tu puisses aller par delà les mers, sans avoir à dire que ta mère t'a abandonné"
L’opéra Les Troyens de Berlioz met en scène un adolescent, Ascagne, le fils d’Enée (rôle travesti). A l’acte III, il est chargé d’une mission d’ambassade auprès de la Reine Didon… car on espère, à raison, que son visage d’enfant pourra attendrir une femme. Toutefois, quand son père s’apprête à combattre pour aider la Reine Didon, le jeune garçon impétueux veut partir avec lui… mais il n’a pas encore l’âge adulte et est renvoyé sous la protection des femmes, de Didon, mère de substitution.
Il ne peut donc encore agir ni participer à l’action… Mais son rôle est finalement essentiel, puisque c’est pour lui que Enée veut créer une nouvelle patrie en Italie, pour lui qu’il va quitter Didon… Il représente l’avenir… N’oublions pas que l’autre nom d’Ascagne est Iule… C’est l’ancêtre de la gent Julius !
Autre rôle d’adolescent en devenir : celui de Jemmy, le fils de Guillaume Tell… (encore un rôle travesti, Rossini, 1829) Il voudrait participer à l’action, aux combats de son père pour la liberté de l’Helvétie. Jemmy est appelé à devenir un homme valeureux, mais pour l’instant, il est encore en situation de faiblesse… puisqu’il va être utilisé par l’Autrichien Gesler contre Guillaume… dans le fameux épisode de « la pomme ».
Les enfants : émouvantes figures de l’innocence
Au final, les enfants sont peu présents à l’opéra, en tant qu’individus. Les seuls opéras où les enfants ont un rôle important sont les opéras présentés comme… des opéras pour enfants, et ce sont toutefois des rôles interprétés par des femmes (travestis). C’est le cas dans l’Enfant et les Sortilèges de Ravel, mais aussi dans Hansel et Gretel de Humperdinck.
Seuls les trois garçons de La Flûte Enchantée ont un vrai rôle à jouer et sont des enfants chantant en solistes, mais ce sont des figures symboliques, incarnations de la sagesse.
Les enfants apparaissent souvent à l’opéra comme figures de l’innocence. C’est l’image idéale qu’en a Werther par exemple… une innocence qui veut être maltraitée ou pervertie.
Le Tour d’Ecrou, opéra de Britten (1954) met en scène justement une histoire qui se présente comme un exemple de « perversion de l’innocence. » : deux jeunes enfants dont le père est toujours absent, subissent l’influence diabolique et perverse de leurs anciens précepteur et préceptrice, devenus des fantômes…
De manière générale, l’évocation par les mères de leurs jeunes enfants est toujours particulièrement émouvante à l’opéra…
Bien sûr, nous pensons évidemment à la malheureuse Butterfly, un des opéras avec Médée et Norma où des enfants doivent être présents sur scène, (en dehors des chœurs d’enfants bien entendu), Butterfly qui se suicide en abandonnant son fils à son père pour pouvoir garantir son avenir.
Nous pouvons évoquer à ce sujet l’air d’Amelia dans Le Bal Masqué de Verdi : son mari furieux a décidé de la tuer… elle ne demande qu’une grâce : pouvoir embrasser une dernière fois le fils qu’elle ne verra jamais plus… puisque son père aura tué sa mère. Cela convaincra finalement Renato d’épargner sa femme.
Autre œuvre enfin, où l’évocation de l’enfant est absolument bouleversante : l’opéra en un acte Suor Angelica de Puccini (1917).
La jeune Angélique a eu un enfant hors mariage que sa famille lui a enlevé à la naissance avant de la jeter dans un couvent où elle vit dans la tristesse. Son seul bonheur est de penser à son fils, qu’elle ne voit jamais, mais qu’elle imagine grandir. Lorsque, finalement, six ans plus tard, on lui apprend sèchement que son fils n’a finalement pas vécu, Sœur Angélique se suicide…
Voici l'air "à faire pleurer dans les chaumières" ... "Senza mamma o bimbo tu sei morto"
6. Orphelins et parents absents chez Richard Wagner
Abordons maintenant rapidement la question des parents des grands héros mythologiques qui sont, ont le remarquera, presque toujours absents ! Chez Wagner notamment, les héros sont toujours orphelins, de père, de mère, ou des deux…
Rappelons que, symboliquement, les parents représentent le lien avec le passé. La mère est liée au foyer, à l’intimité, au monde protégé de la première enfance, protecteur, à l’amour et à la tendresse. Le père représente le monde extérieur et la société humaine…. Les héros ont souvent été privés de l’un ou de l’autre… un handicap qu’ils ont été forcés à dépasser :
Parsifal (Wagner) a été élevé par sa mère « Herzeleide » « cœur brisé, souffrance du cœur » dans une totale méconnaissance du monde et de la guerre : elle a trop peur que son fils soit tué comme son père Gamuret. Mais Parsifal ne pourra résister à l’attrait du monde et abandonnera sa mère, qui mourra de désespoir.
La diabolique Kundry, chargée de le séduire, jouera là-dessus. Elle réveillera son amour pour sa mère, sa compassion et sa honte de l’avoir abandonnée, pour le mettre dans un état de faiblesse émotionnelle. Evoquant l’amour charnel qui liait Herzeleide et Gamuret, elle parviendra à attirer Parsifal dans ses filets, mais le temps d’un baiser seulement….
Tristan und Isolde, Wagner
On ne parle jamais du père de Tristan, mais il a un père de substitution dans la personne du roi Marc auquel il voue un tel respect qu’il lui livrera la femme qu’il aime…
Le héros Tristan a surtout perdu sa mère à la naissance et en bon Celte, Tristan associe au monde des morts, le monde d’où il est venu en naissant … (Car pour les Celtes, c’est le même monde, le Sid). Tristan associe donc sa mère à la mort.
Ecoutez cet extrait à 1'08'40, Tristan et Isolde ont été surpris en flagrant délit et invite Isolde à le retrouver dans son royaume, celui de la mort.
Siegfried
Voici un exemple d'enfant-héros totalement orphelin : petit-fils de Wotan, fils de Siegmund (mort avant sa naissance) et de Sieglinde (morte en lui donnant le jour), il a été élevé par le nain Mime, un père de substitution qui n’en est pas un : il n’a jamais eu ni l'amour d'une mère, ni l'enseignement d'un père. En effet Mime, ne l’a élevé que dans l’espoir qu’il tue un jour le dragon gardien du trésor.
Ayant grandi dans la forêt, coupé du monde, Siegfried n’a eu aucun lien social. C’est enfant de la nature… qui n’a donc pas été non plus "perverti" par la société… C’est bien dans ce but qu’il est né d’ailleurs : sa mission est d'être un Homme Nouveau coupé des règles anciennes et de la société traditionnelle... Ce qui sera concrétisé au moment où il brise la lance de Wotan, son grand-père, coupant symboliquement les liens avec le passé, et l'ancienne société.
En ce qui concerne la relation avec les femmes, il n'a jamais connu de figure féminine, et bien du mal à imaginer à quoi pouvait ressembler sa mère... Quand il voit pour la première fois une femme, Brunnhilde, il a peur... et la prend un instant pour sa mère. Mais elle s'empresse de le détromper.
C'est Brunnhilde, qui, de manière sensible et non intellectuelle, (car elle est femme) est sensée le lier au passé, car on ne peut rien créer, même un monde nouveau, à partir de rien... Mais Siegfried va oublier Brunnhilde...
Wotan et ses Wälsungen
Mais Siegfried est aussi l’hériter d’une noble lignée, un enfant de Wotan, un Wälsung, un descendant d’un Dieu d’amour qui a renoncé à l’amour… pour le pouvoir… mais qui s’en est rapidement repenti. Siegfried a été abandonné volontairement par Wotan pour qu’il soit un homme libre, coupé de ses racines et de son passé, afin qu’il puisse créer un monde nouveau.
Dans la Tétralogie, Wotan est un père sans en être un, car il tente de ne rien transmettre… Il met ses enfants dans la situation la plus épouvantable possible avec l’idée qu’ils devront s’en sortir sans lui. Il les confronte au monde réel mais de manière radicale, en l’occurrence un monde profondément rétrograde et archaïque, avec l’espoir secret qu’ils pourront en créer un meilleur.
Mais il restera toujours un lien entre Wotan et ses enfants : un lien d’ailleurs à la fois physique et symbolique : ils ont les mêmes yeux, des yeux brillants, symboles de la parcelle de divin qu’ils ont en eux. Et également l’épée, placée par Wotan dans le tronc de l’arbre, et qui doit sauver Siegmund… Car malgré tout, le père divin est attaché à ses enfants par les liens de l’amour. Wotan est avant tout un Dieu d’amour. Il aime profondément ses Wälsungen. Il a aussi transmis cet amour à sa fille chérie, sa Brünnhilde qui est une part de lui-même… Dont il va devoir se séparer… Mais cela va finalement conduire au mariage de Brünnhilde et Siegfried.
Wotan et Brünnhilde :
Wotan, Dieu d’amour et de pouvoir, est contraint de se séparer d’elle pour qu’elle puisse vivre sa vie de femme… et créer avec l’homme nouveau, Siegfried, une nouvelle humanité libérée de l’emprise du passé et des Dieux. Mais cette séparation du père d’avec sa fille ne se fait pas sans la souffrance de Wotan… d’où ses splendides Adieux dans la Walkyrie, ni celle de Brünnhilde rompant avec le passé (d’où le sublime final de Siegfried).
Voici les fameux "Adieux de Wotan"
Après cette page splendide, nous en resterons là pour l’instant, même si nous pourrions continuer pendant des heures… Constatons simplement qu’une fois de plus, la diversité des relations entre les parents et les enfants à l’opéra reflète la complexité de ces mêmes relations dans le monde réel, de manière à peine exacerbée ! Cette jeune adolescente ne disait-elle pas, parlant d’Elektra, qu’elle avait beaucoup aimé l’opéra, car il lui rappelait ses relations avec sa mère… ? On ne peut qu’espérer qu’elle exagérait un peu, mais qui sait ?
Julia Le Brun
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