Extrait : Inhibée sociale
En se remémorant ces sombres souvenirs, Maria sentit de nouveau son estomac de nouer. Elle s’allongea sur le lit et ferma les yeux. À l’époque, elle avait été torturée entre la volonté d’affirmer son individualité et l’impératif « d‘intégration » que lui imposait la société moderne. La fin de sa scolarité l’avait légèrement libérée de ce fardeau, mais malheureusement, elle était encore exclue de la majorité des lieux classiques de socialisation. Un obstacle qui aurait parut bien minime à beaucoup, se levait toujours en travers de sa route : elle ne pouvait pas supporter les musiques dites « actuelles », ce qui englobait de manière générale toutes les musiques dont les basses toujours plus rythmées et tonitruantes constituaient la principale composante. Ce bruit infâme était omniprésent : au cinéma, dans les magasins, à la télévision et surtout, dans toutes les soirées et événements festifs. Elle n’avait pas réussi à déterminer si cet effet était psychologique ou physique, mais ce qu’elle percevait uniquement comme des sons assourdissants provoquait en elle un malaise inexplicable.
Cette faiblesse avait fait naître en elle un sentiment d’inadaptation au monde et à la société. Mais ce qui représentait pour elle le comble de l’humiliation, c’était cet ordre ultime intimé depuis le lycée, cet impératif suprême qui semblait réguler toute la société contemporaine : « sois ouverte, sois tolérante ».
Était-ce un effet secondaire du traumatisme fasciste de la guerre ? Ouverture et Tolérance étaient devenues les uniques vertus phares sans lesquelles on ne pouvait espérer survivre dans le monde occidental. Il fallait en permanence faire preuve de ces qualités essentielles dans tous les domaines de la vie publique et privée, et en priorité dans les secteurs devenus hautement politiques de la culture et de la musique.
Les plus pervers de tous ces bien-pensants étaient même fiers de faire preuve d’une capacité à s’intéresser à la musique classique, témoignage de leur « ouverture d’esprit », de leur effort louable pour apprécier « tous les styles » artistiques. Ces déclarations avaient généralement pour conséquence d’accentuer du même coup le sentiment d’isolement de Maria qui, très sincèrement, ne parvenait pas à comprendre que l’on puisse aimer à la fois Christophe Maé, Metallica et Verdi. Comble de l’horreur, même Julien fêtait ses anniversaires sur fond de musique électro. Elle en avait fait la triste expérience et avait dû s’enfuir au milieu de la fête pour ne pas finir aux urgences. À l’époque actuelle, un tel handicap lui interdisait donc toute soirée un tant soit peu festive et elle en souffrait intérieurement.
Les Chevaliers d'Apollon
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