Le Voyage Lyrique - Découverte de l'opéra

Le Voyage Lyrique - Découverte de  l'opéra

L'opéra dans toutes les langues

L'opéra dans toutes les langues

 

Vous le savez sans doute, de nos jours, toutes les salles d'opéras du monde sont équipées de systèmes de sur-titrages plus ou moins sophistiqués au dessus de la scène ou sur le dossier du siège d'en face. Les salles les plus modernes proposent même des traductions en plusieurs langues. Qu'il soit chanté en russe, tchèque, allemand, italien, anglais, espagnol ou même... français, aucun livret d'opéra n'a donc désormais de secret pour le spectateur, a priori. Reste à en comprendre les méandres, ce qui est un autre sujet... Bref, toute personne normalement constituée est supposée être capable de comprendre ce qui se chante sur une scène d'opéra.

Mais avant qu'apparaissent ces merveilleuses techniques, comment faisaient donc nos ancêtres, lorsque tout joyeux, ils se rendaient à la première représentation française de Tosca de Puccini à l'Opéra Comique en 1903 ? Eh bien, ils avaient la chance de l'entendre traduite dans leur langue. Et autant vous dire que pour un mélomane d'aujourd'hui, cela est assez sacrilège !

Plusieurs cas se présentent : tout d'abord, il existe des opéras dont les différentes version ont été "supervisées" par le compositeur et sont encore aujourd'hui officiellement reconnues par le monde musical.

 

    


Prenons par exemple Orphée et Eurydice, le célèbre opéra du compositeur (allemand) Christoph Willibald Gluck. Il est resté célèbre en France notamment grâce à l'air d'Orphée "J'ai perdu mon Eurydice".

Et bien, il en existe au moins trois versions dans des langues différentes, (et en prime, avec différents types de voix pour le rôle principal)...

 

La première version, dite de Vienne, 1762, a été rédigée en italien et chantée à l'époque par un castrat (je vous rassure, de nos jours ce genre de chanteurs a disparu. On préfère choisir un contre-ténor, un homme qui chante en voix dite "de tête".)

 

Voici le contre-ténor Derek Lee Ragin, accompagné par John Eliot Gardiner :

 

Puis, Gluck a été invité par Marie-Antoinette à Paris: il a donc fait traduire son livret dans la langue de Molière et a arrangé sa partition pour le goût des Français qui avaient une préférence à l'époque pour la voix de haute-contre (une voix d'homme aiguë mais pour mâle non castré...). C'est la version dite de Paris de 1774. 

 

Voici la version française interprétée par le ténor Richard Croft: 

 

Musicalement, l'oeuvre a connu d'autres péripéties que je ne détaillerai pas ici... En 1859, c'est le compositeur Hector Berlioz qui s'en mêle. Il remanie le livret et la partition de Gluck pour qu'elle puisse être interprétée par une voix de femme mezzo-soprano. Cette version est encore jouée de nos jours (bien que critiquée par certains puristes). 

 

 

Mais ce n'est pas tout... il existe plusieurs autres versions dont les auteurs reste à ma connaissance d'illustres inconnus: on compte notamment une version en allemand, transposée pour baryton. Cette version avait été uniquement prévue pour les représentations en Allemagne, mais elle est restée dans la postérité pour avoir été interprétée par les plus grands chanteurs allemands du XXème siècle: Hermann Prey et Dietrich Fischer-Dieskau.

 

 

 

Voici donc typiquement l'exemple d'une oeuvre qui a subi des modifications importantes, notamment du fait du changement de langue. Ce qui est relativement rare, c'est que plusieurs de ces différentes versions soient encore interprétées de nos jours, malgré l'arrivée des surtitres... cela est lié au fait que dans ces cas précis, la traduction n'a pas été simplement plaquée sur la musique. L'oeuvre a souvent fait l'objet d'une modification plus globale, ne serait-ce que dans les tonalités utilisées.

 

Ce qui est intéressant ici, c'est d'essayer de ressentir les différences de sonorités qu'induisent les traductions et les transpositions. Si vous écoutez bien, le même air ne rendra absolument pas le même effet selon la langue dans lequel il est chanté. 

 

Il existe beaucoup d'opéras dont la traduction a été plus ou moins supervisée par le compositeur lui-même et a souvent donné lieu en parallèle à des remaniements musicaux. C'est le cas du Don Carlo de Verdi par exemple. Le compositeur italien, attiré par le prestige de ce que l'on appelait alors "la grande boutique" a d'abord composé cette oeuvre pour l'Opéra de Paris (Don Carlos en 1867). Puis, il l'a adaptée en italien pour la Scala de Milan en 1884 (où elle perdit un acte dans la bataille).

 

Voici la "Mort de Rodrigue" en version italienne (par Dmitri Hvorostovsky)


et en version française (par Thomas Hampson)


 

Cela a également été le sort subi par l'opéra de Rossini Guillaume Tell, créé en français à Paris en 1829 et traduit en italien (Guglielmo Tell) pour une création en Italie en 1831 (où il perdit également un acte au passage, les italiens devaient aimer la concision... et le format en 5 actes était spécifique aux règles de l'Opéra de Paris).

 

Les versions remaniées par les compositeurs sont souvent encore jouées et enregistrées de nos jours.


Mais ce qu'il faut savoir également, c'est que les opéras étaient presque toujours traduits dans la langue du pays, même sans contrôle du compositeur. (Cela remplaçait nos sur-titres actuels.) Nous avons des témoignages sonores d'enregistrements d'opéras allemands en français, d'opéras tchèques en allemand, d'opéras italiens en allemand... et le résultat en est souvent assez exotique. La musique de la langue étant différente, l'air en est totalement transformé.

En voici quelques exemples:

 

"Che gelida manina",  La Bohème, Puccini

Mon arrière-grand-père connaissait très bien cet air, mais sous le titre de "Que cette main est froide"

Voici une version française interprétée avant la guerre par le grand ténor français Georges Thill:

 

Et voici la version italienne officielle interprétée par l'éternel Pavarotti:

 

Tosca, Puccini

"Qual occhio a mondo", Acte I

Voici certainement une des pages pour ténor les plus lyriques et les plus enflammées de tout le répertoire.

Le peintre Mario Cavadarossi est follement amoureux de sa maîtresse, la cantatrice Floria Tosca. Pourtant celle-ci lui fait une scène de jalousie: pourquoi est-il en train de peindre une Madone blonde aux yeux bleus, alors qu'il devrait la prendre elle pour modèle, la belle brune aux yeux noirs. Cavadarossi part alors dans une grande déclaration: "quels yeux au monde vaudraient tes beaux yeux noirs". Cela n'a l'air de rien, mais sur la musique de Puccini, cela prend une autre dimension!

"Mais quels yeux valent", Tosca, 

 

 

Et voici la version italienne officielle, par le grand ténor lyrique italien Carlo Bergonzi et La Callas.

 

Mais le plus surprenant à mon avis restera sans doute la traduction en français des opéras de Richard Wagner.

 

Voyez plutôt cet extrait des Meistersinger de Wagner par Georges Thill:

 

Et voici la version originale en allemand par le grand ténor wagnérien Johan Botha :

 

La Walkyrie : 

 

Et par Jonas Kaufmann :

 

Dans l'autre sens, voici une superbe version en allemand du grand duo des pêcheurs de Perles de Bizet, par Fritz Wunderlich et Hermann Prey


 

Version française d'origine : 

 

 

De nos jours, les salles opéras jouent quasiment toutes dans la langue d'origine, par respect de l'oeuvre et souci d'authenticité. Ce mouvement a été porté par le développement des sur-titres dans toutes les salles du monde, ainsi que par la globalisation (sauf au Festival de Bayreuth, mais comme ils ne jouent que des opéras de Wagner en allemand...)

 

Pourtant, il existe encore quelques irréductibles, des salles qui font dans l'originalité et mettent un point d'honneur à interpréter les oeuvres dans la langue de leur pays. C'est le cas notamment de l'ENO, l'English National Opera à Londres qui traduit tout en anglais. Le Komische Oper de Berlin se soumet au même exercice: il propose toutes les oeuvres en traduction allemande... un choix qui me laisse personnellement perplexe mais qui a peut-être le mérite de faire moins "peur" aux non-initiés et qui donne à ces compagnies leur spécificité. 


Voici Carmen en allemand !

 

ou bien en russe ... :-)

 

Roberto Alagna s'est quant à lui amusé récemment à enregister en français le grand air de Lenski dans l'Eugène Onéguine de Tchaikovski... et il faut avouer que cela fonctionne plutôt bien :

 

Ces quelques mots pour vous dire de ne pas vous étonner si par hasard vous écoutez un opéra et que vous n'entendez pas tout à fait ce à quoi vous vous attendiez!  

 

Julia Le Brun



29/10/2012
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