Le Diable à l'opéra
Depuis l’époque romantique, le répertoire lyrique est riche des personnages diaboliques et démoniaques les plus séduisants. Je vous propose un petit panorama bien sulfureux.
Mais pour commencer, j’ai trouvé intéressant de faire un point religieux, sémantique et ésotérique afin de comprendre à qui nous avons affaire et qui vous éclairera sur les diverses approches proposées par les compositeurs.
Satan et le Diable
L’existence du diable est liée à la réflexion sur le Mal dans les religions juive et chrétienne., mais cette personnification du Mal n’apparaît que tardivement dans la tradition judéo-chrétienne.
Satan est à l’origine un nom commun. Dans le Livre de Job (I,8-12), Satan est un fils de Dieu qui se présente à la Cour de Yahvé et se propose de mettre Job à l’épreuve. Le Satan est son titre, une sorte de procureur. Le mot hébreu a d’ailleurs été traduit à l’époque en grec par « diabolos » « accusateur ». En hébreu, le Satan veut en fait dire « celui qui ne met en travers de la route, qui s’oppose ». A l’origine, dans l’Ancien Testament, il n’est donc pas l’incarnation du mal absolu, ni un ange déchu, juste un adversaire.
C’est dans le Livre des Chroniques (vers le Vè siècle av. JC) qu’il devient une sorte d’agent provocateur qui suscite la rébellion contre Dieu.
Dans la littérature apocalyptique juive du Second Temple, il deviendra finalement le chef des Anges déchus ces fils rebelles de Dieu ayant copulé avec les filles des hommes, dans le Livre de la Genèse. Sinon, le Livre d’Enoch, en donne une autre version : c’est un ange qui aurait voulu mettre son trône au-dessus des nuages pour montrer qu’il était supérieur au pouvoir de Dieu et aurait provoqué la colère de ce dernier.
Un glissement s’opère donc, aboutissant à la création des Anges, puis des Anges déchus commandés par l’un d’entre eux.
Cette littérature apocalyptique juive doit beaucoup au Mazdéisme, fondée vers -1200 par Zarathustra, qui dénie l’unité de Dieu et oppose deux esprits : Ohrmazd, la bonté et la lumière et Ahriman, ange des ténèbres. Cette influence dualiste est marquée dans la secte des Esséniens de Qumran, d’où proviennent les manuscrits de la Mer Morte. Au Prince de la Lumière, ils opposaient l’Ange des Ténèbres ou Ange de la destruction.
Les Chrétiens ont recueilli tout cet héritage et le Nouveau Testament fixe l’image de Satan chef des anges déchus et des esprits mauvais, seigneur de ce monde, mais aussi créature de Dieu. Ses pouvoirs maléfiques sont destinés à empêcher la venue du Royaume de Dieu sur la Terre. Il corrompt le monde créé par le Seigneur et commande l’armée des ténèbres quand le Christ commande celle des lumières. La figure du Christ ne peut se comprendre que par opposition aux forces du mal représentées par le Diable régnant sur le Monde.
Le Diable prend des noms très divers dans le Nouveau Testament : Satan, le Démon, Bélzéboul, l’Ennemi, Bélial, le Tentateur, l’Accusateur, le Prince de ce monde, le Prince des Démons, l’Abbadon. Le nom de Lucifer n’apparait que vers 200.
Quelques mouvements hérétiques de l’époque s’inspirent encore du dualisme (le mal est un principe malfaisant indépendant de Dieu), mais les pères de l’Eglise vont tout faire pour repousser cette idée : Satan reste une créature de Dieu… ce qui va susciter de grands débats.
Mais c’est un peu malgré eux que le concept du Diable a connu en Occident un grand succès croissant. A partir de la fin du XIVe, la place du Démon dans les représentations des chrétiens d’Occident devient prépondérante. Il devient l’auteur de tous les maux et le maître d’une religion anti-chrétienne. On lui donne une mère : Lilith. On le marie et lui donne 7 filles assimilées aux 7 péchés capitaux. Il devient le père de l’Antéchrist, de l’Enchanteur Merlin et même d’Attila…
Il se met en place l’idée qu’il existe une religion du Diable, opposée à celle du Christ : naissance du mythe du sabbat et la croyance en la sorcellerie démoniaque. Une vague de répressions en découle, en Europe du Nord et Europe centrale surtout.
Plusieurs saintes légendes créent alors le mythe de l’homme qui pactise avec le Diable, dont le plus célèbre est celui de Faust, né au XVIème siècle. Il n’a jamais disparu de la liturgie catholique et le Pape Paul VI en a réaffirmé encore l’existence...
Et au XIXe, à l’époque romantique, le Diable revient… mais comme motif littéraire, et lyrique !
Les symboliques du Diable
Le Diable est lié aux mythes du Dragon, du serpent. Il symbolise les forces qui troublent, assombrissent, affaiblissent la conscience. Il est la synthèse des forces désintégrantes de la personnalité, régression vers le désordre, la division, la dissolution, sur le plan physique mais aussi d’un point de vue moral et métaphysique.
Sa réduction à la forme d’une bête (pieds fourchus, tête de bouc) manifeste symboliquement la chute de l’esprit. Dans les traductions hermétiques, Satan est un autre nom de Saturne, en tant que principe de la matérialisation de l’Esprit, c’est l’Esprit tombant dans la matière, la chute de Lucifer, le porte-lumière. Son existence est une déviation de la lumière primordiale, ensevelie dans la matière, enveloppée dans l’obscurité, dans le désordre de la conscience humaine.
Il est aussi le « singe de Dieu », parodie de Dieu qui règne sur les forces occultes.
Ils représente les forces du Néant indispensables à l’équilibre même de la nature.
Dans le Tarot de Marseille, le Diable montre aussi l’esclavage qui attend celui qui reste aveuglément soumis à son instinct. Il représente également la libido, qui a une importance fondamentale dans l’épanouissement humain (chez les symbolistes).
Diabolus in Musica
En musique, au Moyen Âge, le Diabolus in Musica (litt. « le diable dans la musique ») était le nom donné à la présence d'un intervalle de trois tons (aujourd'hui appelé triton). Cet intervalle (quarte augmentée) engendre une attente ou tension pour l'auditeur, contrairement à une quarte juste qui produit un effet conclusif et apaisant appelé aussi résolution. Néanmoins, certains compositeurs continuèrent de l'utiliser dans la musique profane pour surprendre et déstabiliser l'auditeur.
Commençons maintenant notre panorama des diables et démons lyriques.
Les Diables faustiens
(dossier consacré ; https://www.levoyagelyrique.com/faust-en-musique)
De 1480 à 1540 environ vécut en Allemagne un Docteur Faustus, magicien et astrologue. De sa réputation sulfureuse naquit sans doute le mythe de Faust, le vieux savant vendant son âme au Diable.
Vers 1550, on voit apparaître les premières esquisses des futurs récits faustiens par Melanchton, disciple de Luther. (L'occasion d'accuser les catholiques pour la perte de l'âme de Faust). Au XVIIème siècle, le personnage reste populaire en Allemagne à travers les farces, pantomimes et marionnettes et à partir de 1770, on assiste à une résurgence du mythe et Goethe lui donne une dimension titanesque. Il travaille 60 ans à cette vaste fresque comprenant l’Urfaust (Faust originel), le Premier Faust (1808) (le plus connu, qui raconte entre autres l'histoire de Marguerite/ Gretchen) et le Second Faust (1832).
Goethe introduit des dimensions nouvelles au mythe :
- Méphistophélès a lancé un défi à Dieu que celui-ci relève, persuadé que Faust sera sauvé par son aspiration constante à la connaissance.
- Faust est victime de son désespoir, de son aspiration à quelque chose de supérieur, que malgré toute sa science et tout son savoir, il ne parvient pas à atteindre, du fait de ses limites humaines.
Devant le silence de Dieu, le Créateur, Faust finit par invoquer son opposé, "l'esprit de négation". Lors que Méphisto vient à lui, Faust le met au défi de lui révéler ces mystères métaphysiques inaccessibles et de donner un sens à son existence.
- Méphisto essaye de faire découvrir à Faust la jouissance sexuelle (c'est tout ce qu'il connaît) dans le cadre d'orgies comme celle de la nuit de Walpurgis, ou à travers la séduction d'une jeune femme pure, un "symbole féminin", Marguerite. Mais Faust ne peut s'empêcher de mêler à sa relation avec Marguerite un peu d'amour pur et de tendresse, ce qui fera finalement naître en lui des remords terribles, que Méphisto ne pourra effacer qu'au prix d'un sommeil de plusieurs années.
- Dans Le Second Faust, Goethe assure la rédemption de son personnage, après de nombreuses évocations mythologiques : Faust parvient en effet à trouver un sens à sa vie à travers la quête de la Beauté, symbolisée par Hélène de Troie, incarnation de la beauté grecque antique. De leur mariage naîtra un fils merveilleux, Euphorion, union de la Beauté grecque et du génie romantique allemand, qui subira malheureusement le sort d'Icare.
Dans la dernière partie de sa (seconde) vie, c'est à travers l'action et la création que Faust parviendra à s'épanouir pleinement. En asséchant des marais, il tentera de construire une cité nouvelle et idéale. Il mourra avant d'avoir pu terminer son oeuvre, mais son aspiration permanente à l'élévation, sa quête insatiable des mystères du monde et de la vie, permettront à Dieu de le soustraire aux griffes de Méphisto, malgré que celui-ci soit finalement parvenu à remplir son contrat : donner un sens à la vie du Docteur Faust.
Les ouvrages de Goethe se diffusèrent rapidement dans tout l’Europe, notamment en France grâce à l'excellente traduction de Gérard de Nerval et inspira de grandes oeuvres musicales inspirées du mythe de Faust :
H. Berlioz, La Damnation de Faust (1846)
Robert Schumann, Scènes de Faust (1853)
C. Gounod Faust (1859)
Arrigo Boito, Mefistofele (1868)
Busoni, Doktor Faust (1925)
Mais aussi :
R. Wagner, Faust Ouverture (1840)
Spohr, Faust (1840)
Franz Liszt, Eine Faust-Symphonie (1854)
Mahler, Symphonie 8 (1907)
Stravinsky, L’Histoire du Soldat (1917)
Alfred Schnittke, Historia von D.[oktor] Johann Fausten (1995)
Pascal Dusapin, Faustus, The Last Night (2006) (D’après C. Marlowe)
Philippe Fénelon, Faust (d’après Faust de Nikolaus Lenau) 2007
Faust (1859) - Charles Gounod
Gounod a été sensibilisé très tôt à l’ouvrage de Goethe. En 1838, à vingt ans, il lit Faust et emporte le livre lorsqu’il part à la Villa Medicis en 1839. Il songe déjà à le mettre en musique.
Cette passion n’était pas particulièrement originale : la révélation de Faust a été un des grands chocs du XIXème siècle.
En 1852, l’idée d’un opéra est déjà assez précise dans la tête de Gounod pour qu’il en parle à la presse. Mais Faust ne devient réalité que le jour où Gounod peut avoir à la fois un librettiste et un théâtre : ce sera lié à la rencontre fortuite avec le librettiste Jules Barbier associée à l’esprit d’entreprise de Léon Carvalho, directeur du Théâtre Lyrique.
En 1857, Gounod tombe malade, une dépression nerveuse que l’on assimile à un début de folie. Soigné par le Docteur Blanche, célèbre aliéniste, le compositeur se remet et reprend le travail. La vie de Gounod a été un long conflit entre ses tendances au mysticisme et des tentations réprouvées par la morale de l’époque. Ce n’est pas un hasard s’il connaît une pareille crise au moment où il réalise une œuvre qui brosse l’affrontement des forces divines et des puissances démoniaques.
Le compositeur n’a jamais prétendu mettre littéralement l’œuvre de Goethe en musique. Gounod, Barbier et Carré ont choisi de bâtir un argument dramatique autour de l’épisode de Marguerite. L’équilibre entre les personnages en a été intégralement changé. L’espoir de Faust devient beaucoup moins ésotérique et se réduit surtout à une question de jouissance, liée au retour de la jeunesse. Damné dès le début, Faust devient inconsistant et son sort est scellé, tandis que Marguerite gagne une nouvelle dimension.
La Damnation de Faust, Hector Berlioz
Légende dramatique en quatre parties. Paroles de Gérard de Nerval et Hector Berlioz. Créé en version concert au Théâtre de l’Opéra-comique le 6 décembre 1846.
Première représentation au Théâtre de Monte-Carlo, le 18 février 1893.
Berlioz est peut-être le plus goethéen des compositeurs ayant tenté de se mesurer au chef d’œuvre. Il en a fait une partition d’une variété et d’une richesse incomparables.
Chez Goethe, le pacte avec le diable relève d’un pari : le diable parviendra-t-il à détourner les nobles aspirations de Faust vers la bestialité des plaisirs sensuels, les satisfactions matérielles et le plaisir de détruire ? Dieu est persuadé que non. Il a confiance en la soif d’absolu de Faust, et laisse le Diable le tenter.
Faust sait tout ou presque mais le savoir ne l’a pas mis en contact avec les choses, la variété, la nature, le mystère divin. Son âme est toujours à la recherche de l’insaisissable, de l’irrationnel. Il incarne la figure du savant qui a vendu son âme au diable pour pénétrer les secrets de la nature et jouir des plaisirs interdits.
Ce qui l’induit aux pires imprudences, c’est le démon de la connaissance. Il s’est essayé toute sa vie par ses propres moyens à atteindre la connaissance, mais il n’a pas la technique ni les vertus qui mènent à la connaissance mystique.
Berlioz souligne dès la préface qu’il ne se fonde pas sur l’idée principale du chef-d’œuvre de Goethe, puisque chez celui-ci Faust est finalement sauvé. Berlioz a retenu pour sa composition « un plan personnel, et des scènes dont la séduction sur son esprit était irrésistible ».
Tout fut écrit à l’improviste, comme en se jouant : « Je ne cherchais pas les idées, je les laissais venir et elles se présentaient dans l’ordre le plus imprévu ».
Faust est associé chez Berlioz à l’idée d’un combat personnel qu’il mènera contre l’incompréhension. L’oeuvre de Goethe rejoint ses propres préoccupations : tentation de la gloire, de l’amour, du désir, de la poésie.
Il a su conserver le sens de l’Allemagne gothique de Goethe, une vision cosmique de la nature qui s’épanouit en beaucoup d’endroits de sa partition (notamment le grand air « Nature immense. »
Le satanisme est également très présent avec l’utilisation permanente du triton, le « diabolus in musica » (quarte augmentée). Cet intervalle est omniprésent, lors de l’apparition de Méphisto au début, mais aussi, par exemple, dans le premier air de Marguerite sous influence du démon.
Méphisto, symbole de la négation, apparaît chaque fois que Faust croit avoir trouvé une certitude fondamentale de la vie : la foi, l’amour, la nature. L’histoire est une progression constante de l’aspiration à la frustration.
Mefistofele (1868), Arrigo Boito
Opéra italien en un prologue, quatre actes et un épilogue, d'Arrigo Boito (le seul achevé par le compositeur) créé le 5 mars 1868 à la Scala de Milan.
Essayiste, critique littéraire et traducteur, Boito est artiste passionné au talent protéiforme. Avant de devenir le merveilleux librettiste d’Otello et de Falstaff, il avait dans sa jeunesse lancé une véritable déclaration de guerre à l’encontre de Verdi et les artistes « enfermés dans la geôle de la vieillesse et du crétinisme. Boito appartenait alors dans les années 1860 à un groupe de jeunes intellectuels « bohémiens » milanais connus sous le nom de « Scapigliati » (« Les échevelés »). Il était alors résolu à « révolutionner l’art lyrique » et « briser le carcan de l’art ancien »
Arrigo Boito compose Mefistofele entre 1866 et 1867 dans l’intention avouée de mettre en pratique sa nouvelle vision artistique. La réflexion esthétique est au cœur de son projet qui se présente comme la volonté d’atteindre un « art total ». C’est pourquoi il entend suivre l’exemple de Wagner en écrivant lui-même son livret et en dirigeant la création de son œuvre, qu’il aura mise en scène lui-même. Boito se lance aussi dans un important travail de préparation qui le conduit à mener une recherche exhaustive concernant les différentes versions du Faust de Goethe.
Boito ambitionne de composer une sorte de vaste fresque métaphysique et souhaite utiliser les deux Faust de Goethe. Il envisage même un moment d’écrire un diptyque qui serait représenté en deux soirées. Boito aspire à un art nouveau qui réaliserait la synthèse entre classicisme et romantisme, entre italianité et germanité. C’est dans cette optique qu’il fait entrer en scène Hélène de Troie après la mort de Marguerite qui clôt la première partie de l’opéra. Les deux femmes symbolisent la confrontation et la réunion entre le Sud et le Nord, entre l’Idéal et la Réalité.
Après le scandale phénoménal de la première en 1868, Boito, très meurtri par son échec, tire les leçons de l’incompréhension du public en remaniant profondément son livret qu’il allége. La nouvelle version, plus dramatique et moins abstraite, faisant plus de place aux sentiments est donnée en 1875 à Bologne, ville favorable à Wagner, et est bien accueillie. Les représentations qui suivront recevront un accueil triomphal en Italie comme en Europe.
C’est surtout l’aura du rôle-titre qui assurera le succès de l’œuvre, attirant de grandes basses telles que Chaliapine.
Dans son avertissement aux chanteurs Arrigo Boito présente son personnage comme « une personnification du mal ». Mefistofele apparaît au premier acte comme un « mélange de gentilhomme et de démon » pour se présenter au deuxième acte comme un « homme », puis un « diable ». L’écriture musicale épouse les méandres de cette âme vouée au sarcasme, à l’ironie glaçante et à la dissimulation. Le chanteur qui incarne cet être maléfique doit suivre les mouvements multiples et ondoyants de ce que Boito appelle « une rage pérenne et étouffée qui se révèle par des sarcasmes, des ricanements, sous une apparence de froideur glaciale et d’indifférence ».
Doktor Faust (1925), Ferruccio Busoni
Doktor Faust est un opéra composé par Busoni sur son propre livret, en allemand, inspiré de Goethe mais dont il s’éloigne toutefois beaucoup.
A l’acte I : Méphistophélès s'annonce, proclamant qu'il est vif « comme l'esprit des hommes » (« als wie des Menschen Gedanke »). Faust n'en attendait pas davantage. Il accepte de recevoir ce démon comme son serviteur et demande que tous ses vœux soient exaucés, que toute connaissance lui appartienne. Il lui demande le génie, « et aussi ses souffrances ». En échange, Méphistophélès déclare que Faust devra le servir après sa mort, ce à quoi le docteur se refuse absolument.
Méphistophélès change de ton, en rappelant à Faust que ses créanciers, ses ennemis et les dévots qui souhaitent sa condamnation se tiennent derrière la porte. Faust, pris de panique, lui demande de l'en débarrasser. Le silence se fait, Méphistophélès annonce qu'ils sont tous morts...
Un pacte est signé entre eux. Un chœur invisible chante Credo dans le lointain, saluant le jour de Pâques, alors que Faust signe le pacte de son sang, soudain pris par l'angoisse de ce que deviendra sa volonté. Le chœur, qui n'a cessé de chanter en coulisse, conclut sur le mot « Pax ». Méphistophélès répond « Pris ! » (« Gefangen ! »).
A la toute fin, Faust fait la déclaration suivante, essentielle pour la compréhension de l'opéra pour Busoni : « Je te défie... toi que l'on nomme le diable... Ta haute malice se brise contre les vues plus élevées où je suis parvenu, et sur ma liberté acquise Dieu et le diable s'annulent ensemble ! ». Faust est « une éternelle volonté ».
Scène de la signature du pacte, avec Thomas Hampson et Gregory Kunde
Autres diables et démons de l’opéra
Der Freischütz (Le Franc-tireur), Carl Maria von Weber
Créé en 1821 au Komische Oper de Berlin
Livret de Johann Friedrich Kind
« Si je n’avais pas été ému par les œuvres de Weber, je crois que je ne serais jamais devenu musicien » c’est la confidence de Richard Wagner à Cosima, en 1873. Le triomphe sans précédent que connut cet opéra dès sa création, suscita l’enthousiasme de Beethoven. Considéré comme l’œuvre fondatrice de l’opéra allemand, le Freischütz marque le triomphe des opéras nationaux et le déclin de l’hégémonie italienne.
Elément clef du romantisme allemand, le fantastique nimbe de mystère la nature qui sert de cadre grandiose et effrayant aux affrontements entre les héros et les puissances maléfiques. La fameuse scène dite « de la Gorge aux loups » reste un exemple unique. Weber développe la matière musicale en dramaturge : les sonorités, la couleur orchestrale, l’utilisation de thèmes conducteurs dont Wagner se souviendra, tout contribue à réaliser un équilibre parfait entre l’action dramatique intense et l’expression lyrique saisissante.
Weber a réussi à créer des climats envoûtants : forêt bohémienne, traditions folkloriques, pratiques de sorcellerie, forces occultes. Les éléments angoissants sont nombreux : chasseurs aux larges feutres, figures à la fois truculentes et impressionnantes, forêt dans laquelle le spectateur s’enfonce et qui symbolise la puissance de la nature sauvage, ainsi que l’inconscient. Les forces mystérieuses qui l’habitent sont de modernes avatars du paganisme antique. La puissance du Mal nous oppresse, mal que nous portons en nous et qui est toujours prêt à se manifester pour nous dévorer.
L’action se passe en Bohème, au XVII siècle. Max, jeune garde-chasse du Prince, considéré comme le meilleur tireur des environs, se désole car il vient de perdre un concours de tirs, où a triomphé un simple paysan, Killian. Max doit participer le lendemain à un autre concours de tirs qu’il doit absolument gagner pour obtenir la main de celle qu’il aime, Agathe. Le forestier Kaspar, qui a vendu son âme au maléfique Samiel propose alors à Max de lui procurer des balles magiques. Dans l’effrayante Gorge aux loups, les deux hommes fondent sept balles qui ne ratent jamais leur but. Max ignore que la dernière obéira à la volonté de Samiel et qu’elle est destinée à sa fiancée, Agathe. Le concours de tirs se déroule en présence du Prince qui ordonne à Max de tirer sur une colombe : la colombe s’envole et Agathe tombe inanimée. Heureusement elle n’est pas morte car un ermite a détourné le coup sur le sinistre Kaspar qui meurt en blasphémant. Max avoue avoir pactisé avec le diable par désespoir et faiblesse et le Prince lui impose un délai d’un an avant de pouvoir épouser Agathe.
Sources :
En 1484 : un traité de sorcellerie, le Malleus Malleficarum, décrit les rites compliqués qui président à l’élaboration des balles magiques ou « franches », et le Diable peut tourner les balles contre celui qui les a fondues. C’est une légende qui prend naissance dans les vastes forêts d’Europe centrale.
1810 : publication d’un recueil d’histoires fantastiques Le Livre des Fantômes de Pale et Friedrich Laun. On y décrit la fonte des balles qui donne lieu à des phénomènes fantastiques.
Autre source : ETA Hoffmann. Dans Les Elixirs du Diable, sa première œuvre maîtresse en 1816, l’écrivain et compositeur romantique évoque « Le Gouffre du Diable » auquel la « Gorge aux loups » ressemble.
Scène de la Gorge aux Loups
Air de Kaspar :
The Rake’s progress
Igor Stravinsky, livret de W. H. Auden,
L’action se passe dans l’Angleterre du XVIIIème siècle. Tom Rakewell part pour Londres à la suite d’un providentiel héritage. Il laisse derrière lui sa fiancée pour mieux s’adonner à une vie de libertin sans scrupules avec la complicité de l’inquiétant Nick Shadow qu’il a pris à son service. Ruiné et désabusé, Tom finit par jouer son âme aux cartes avec son serviteur qui se révèle être le diable. Anne Trulove, sa fiancée toujours fidèle, permet à Tom de sauver son âme in extremis, mais il sombre dans la folie avant de perdre la vie.
En se promenant dans le Art Institute de Chicago le 2 mai 1947, Igor Stravinski remarque une série de huit gravures de William Hogarth, A Rake’s Progress (1732-33), illustrant « l’ascension » du libertin Tom Rakewell. Ces huit gravures serviront d’argument à son opéra.
Stravinski est fasciné par la légende de Faust qui lui a déjà inspiré L’Histoire du soldat (1918), ballet dans lequel un jeune soldat cède son âme (représenté par son violon) au Diable.
Cette fable emprunte aussi de nombreux éléments à la culture chrétienne. L’histoire débute dans un jardin idyllique semblable à l’Eden où le Mal apparaît sous les traits de Nick Shadow (le « serpent », comme l’appelle Baba la Turque dans la première scène du troisième acte).
Dans la scène du bordel (acte I, scène 2), Nick joue le parrain, et Mother Goose, la femme évêque. Ensemble, ils exécutent un simulacre de rituel de catéchisme dans lequel Tom répond aux questions qui lui sont posées en parodiant le chant grégorien. La machine à transformer la pierre en pain que Nick fait apparaître dans la troisième scène du deuxième acte est une autre allusion à la mythologie chrétienne : Tom a oublié l’Évangile selon Saint-Luc, où le Christ résiste aux tentations du Diable, notamment celle de changer la pierre en pain.
Démons sentimentaux
Robert Le Diable, Meyerbeer (1831)
Robert Le Diable, sur un livret d'Eugène Scribe adapté d’une légende médiévale, est le premier opéra de Meyerbeer composé pour l’Opéra de Paris. Frédéric Chopin, qui assista à la création, écrivit : « Si jamais la magnificence parut dans un théâtre, je doute qu'elle ait jamais atteint le degré de splendeur déployé dans Robert... C'est un chef-d'œuvre... Meyerbeer s'est acquis l'immortalité...»
L’œuvre qui va faire la fortune de l’Opéra de Paris constitue une véritable révolution dans l’art lyrique. On retrouve des références (conscientes et assumées ou non) à Robert dans des opéras aussi célèbres que Le Vaisseau fantôme, Tannhäuser, Faust, Don Carlos, Carmen, Parsifal…
C’est avec Robert qu’apparaissent pour la première fois sur la scène de l’opéra les thèmes du romantisme noir et de la littérature gothique tels que le pacte avec le diable, les apparitions fantastiques, l’existence de talisman ensorcelé, les danses orgiaques de nonnes damnées ou le viol. De ce point de vue, Robert constitue le pendant lyrique de la Symphonie fantastique (créée à peine un an plus tôt) d’Hector Berlioz, où l’auditeur est convié, dans le dernier mouvement de l’œuvre, à une orgie diabolique, avec sorciers, sorcières et autres créatures infernales.
L’orchestre y est traité comme un véritable protagoniste, par l’utilisation de timbres, de soli ou d’ensembles instrumentaux, propres à chaque situation et susceptible de renforcer la tension dramatique. Ainsi, les trombones annoncent la présence des forces maléfiques tandis que les harpes évoquent la puissance divine et l’espoir d’une rédemption.
Le sujet est emprunté à une légende médiévale, dont le héros est Robert le Diable, fruit de l’union de Satan et d’une mortelle. Le rôle de Bertram « enfantera toutes les grandes parties de basse chantante du siècle : ni Boris de Moussorgski, ni Philippe II de Verdi, ni Wotan de Wagner ne seraient concevables sans lui, pour ne rien dire du Méphisto de Gounod.
À Palerme, au XIIIème siècle, Robert entend le troubadour Raimbaut narrer l’histoire de son étrange naissance. Robert serait né de l’union de sa mère avec le Diable. Indigné, le jeune homme s’apprête à châtier cruellement le troubadour quand il découvre qu’il est le fiancé d’Alice, sa sœur de lait.
La jeune fille accepte de servir de messagère à Robert pour plaider sa cause auprès de celle qu’il aime, Isabelle, princesse de Sicile. Mais Alice met en garde Robert contre Bertram qui est devenu l’ami inséparable du jeune homme après lui avoir sauvé la vie. Alice a reconnu le Diable sous les traits de cet inquiétant compagnon qui feint d’aider Robert pour mieux le conduire à sa perte. Bertram est effectivement le diable et le père de Robert auquel, dans une dernière tentative, il proposera un pacte en échange de son âme. Aux douze coups de minuit, Bertram sera finalement vaincu tandis que Robert pourra enfin s’unir à Isabelle qui l’attend au cœur de la cathédrale de Palerme.
Valse infernale et air de Bertram :
Final
Le Démon, Anton Rubinstein
Le Démon (conte oriental) est un poème composé par Mikhaïl Lermontov entre 1838 et 1841. Cette œuvre est considérée comme l'un des chefs d'œuvre de la poésie russe. Fortement romantique, on y reconnaît l'influence de Byron et de Pouchkine. Ce poème a inspiré de nombreux poètes et écrivains russes.
Le conte sert de base au livret de Pavel Viskovatov de l'opéra Le Démon composé par Anton Rubinstein en 1871.
Pianiste virtuose, compositeur solitaire, Anton Rubinstein (1829-1894) a composé dix-sept ouvrages lyriques dont une seule partition demeure un tant soit peu au répertoire : Le Démon qui fait sensation au Théâtre Mariinski. La basse incarnant le Démon impressionna durablement. Jusqu’à la première guerre mondiale, la carrière internationale de cet opéra à part ne connut pas d’éclipse, les plus grandes basses du moment se disputant le rôle.
Survolant le Caucase, le Démon tombe amoureux de Tamara, une jeune géorgienne qui attend le retour de son fiancé. L'esprit du mal fait tomber ce dernier dans une embuscade, où il perd la vie. Le Pervers poursuit ensuite la jeune fille, qui court s'enfermer dans un monastère. Le Démon parvient à la convaincre qu'il renoncera au mal pour elle. Tamara meurt lorsque le Démon l'embrasse. Un ange enlève la jeune fille à ce moment. Le Démon continue à rôder, "seul et sans espoir", dans l'univers.
Christus, Anton Rubinstein
Opéra sacré en 7 scènes, écrit entre 1887-1893 sur un livret d’après un poème de Heinrich Bulthaupt. Création intégrale à Stuttgart en 1894.
L’opéra traite de la vie de Jésus selon le Nouveau Testament. Une des scènes traite de la confrontation de Jésus avec Satan dans le désert.
Les Contes d’Hoffmann (1881) – J. Offenbach
Les Contes d'Hoffmann, est un opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue de Jacques Offenbach, inspiré du conteur E. T. A. Hoffmann.
Les œuvres d’Hoffmann étaient très populaires et c’est grâce à elles que le jeune Offenbach va pouvoir se façonner une image de jeune allemand romantique. « Avec ses longs cheveux, sa taille effacée et son front inspiré, on le prendrait volontiers pour un personnage des Contes Fantastiques », écrit un journaliste en 1843.
Offenbach se crée une réputation de jettatore, celui qui jette des sorts. Il aura ensuite du mal à se débarrasser de cette connotation diabolique. Elle l’apparente aux diables des Contes, Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto. « Il a composé sa partition comme un homme profondément versé dans les choses démoniaques », note un critique.
"Scintille, diamant", air de Dapertutto
Grisélidis, Massenet (1901)
Grisélidis est un conte lyrique en 3 actes et un prologue de Jules Massenet ; livré tiré d’une légende médiévale reprise par Boccace dans le Décaméron et par Perrault.
À la création, Grisélidis remporte un franc succès. Certains boudent la verve du Diable, mais d'autres sont sensibles à la variété de l'inspiration.
Un Diable tente de convaincre un mari parti aux croisades que son épouse lui est infidèle, alors qu’il n’en est rien. Finalement, il n’y parviendra pas et sera chassé du château à jamais. Las, il décide finalement de se faire ermite, car « il se sent vieux »… et ne supporte pas non plus son abominable femme.
Pour rester dans la même veine, je vous invite maintenant à découvrir :
Et pour vous protéger de tous ces démons :
- Les plus belles prières de l’opéra
A bientôt !
Julia
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