Le gothique à l'opéra
Chevaliers héroïques, diables de toutes sortes, scènes de sorcellerie, objets magiques, l'opéra du XIXème siècle n'est pas avare de scènes fantastiques et les compositeurs n'ont eu de cesse de chercher de nouveaux moyens musicaux pour créer des ambiances macabres ou merveilleuses.
La réhabilitation du Moyen-Age à la fin du XVIIIème siècle puis par le courant romantique au XIXème siècle voit le succès des thèmes « gothiques » dans la littérature mais aussi à l’opéra. On constate un intérêt croissant pour :
- Le macabre, le fantastique dans la lignée du roman gothique anglais ou "roman noir" (du Moine de Lewis aux romans de Walter Scott)
- L'histoire dans sa dimension culturelle mais aussi "exotique"...
Le gothique à l’opéra se caractérise par :
- Des décors et ambiances spécifiques
- Architecture gothique (Eglises extérieures/intérieures)
ex : La Juive de Halévy, Les Huguenots, Le Prophète de Meyerbeer, Faust de Gounod…
- Couvents/ Monastères
- Châteaux anciens (Ex : Le Trouvère de Verdi, Robert Le Diable de Meyerbeer, Lucia di Lammermoor de Donizetti, La Nonne Sanglante de Gounod, Pélléas et Mélisande de Debussy, Le Château de Barbe Bleue de Bartok...)
- Cryptes (Ex : Robert Le Diable de Meyerbeer, Roméo et Juliette de Gounod)
- Cimetières (Ex : Un Bal Masqué de Verdi, Lucia di Lammermoor de Donizetti)
- Forêts profondes et nature mystérieuse (Ex : Der Freischütz de C.M.von Weber, Mireille de Gounod, scène du « Val d’Enfer)
- Fontaines mystérieuses (Ex : Lucia di Lammermoor, Pélléas et Mélisande...)
- Des personnages récurrents
- Les avatars du Diable
- Le religieux (l’Inquisition), la sorcière, le démon, l’ange déchu, le maudit, le vampire etc.
- Des situations : le pacte infernal, l’incarcération et la torture, les secrets du passé venant hanter le présent.
Avatars du Diable à l’opéra :
- Mythe de Faust et adaptations (voir à ce sujet l’article : le mythe de Faust dans la musique classique).
Ex : Le Veau d'Or - Faust de Gounod
- Robert Le Diable (Meyerbeer)
ex : Bertram "Nonnes qui reposez"
- Fantômes / Apparitions (La Nonne Sanglante (Gounod), Le Roi D’Ys (Lalo), Macbeth (Verdi), Hamlet (Thomas), Le Vaisseau Fantôme (Wagner), La Dame de Pique (Tchaikovski), Le Tour d’Ecrou (Britten…)
Voici par exemple un extrait d'une oeuvre que Gounod avait composée pour l'Opéra de Paris, redécouverte récemment par l'Opéra Comique :
- Romans de Chevalerie, Contes du Graal
ex : Wagner : Lohengrin/Tannhaüser/Parsifal /Tristan und Isolde
Le Roi Arthus (Chausson), Merlin (Albeniz)
Voici le très célèbre air du Graal dans Lohengrin de R. Wagner
- Redécouvertes de légendes du Moyen-Age : Robert Le Diable (Meyerbeer), Le Roi d’Ys (Lalo), Grisélidis (Massenet), Le Chevalier au Cygne (Lohengrin), et contes et légendes de Russie et Europe de l’Est...
- Histoires situées à l’époque du M-A : Richard Cœur de Lion (Grétry), Francesca Da Rimini (Zandonai), Le Jongleur de Notre Dame (Massenet)...
- Shakespeare à l’opéra
Le gothique, lié au romantisme naissant se caractérise par un engouement pour l’histoire et le passé, ce qui entraîne le retour à des décors populaires de l’ancien théâtre élisabéthain tels que le château où apparaissent des fantômes (Macbeth, Hamlet), la crypte (Roméo et Juliette), le cimetière (Hamlet), sabbats de sorcières (Macbeth)
- Hamlet de Ambroise Thomas, Roméo et Juliette de Gounod.
- Surtout Verdi, attiré par l’intérêt dramatique et psychologique des pièces de Shakespeare : Macbeth, Otello et Falstaff dont seul le premier peut être qualifié de gothique.
Ex : Macbeth, sorcières
- Des effets musicaux récurrents : Définition d’un style musical « gothique ».
- Utilisation de la musique religieuse / orgue (ex : Scène de l’Eglise, Faust)
- Tournures modales « sonnant » comme de la musique ancienne, du Moyen-Age. (ex : Ballade du Roi de Thulé dans Faust de Gounod, Grisélidis de Massenet, chanson de Mélisande dans Pélléas et Mélisande.)
Les tournures modales telles que le XIXème siècle les a conçues sont une sorte de recréation fantasmatique d’un langage moyenâgeux faisant partie d’une panoplie stylistique. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement la musique du Moyen-Age mais plutôt d’y faire allusion.
Ex : "Il était un Roi de Thulé", Gounod
- Diffusion du « style fantastique » dans les partitions et mise en place d’un « vocabulaire » musical spécifique propre à décrire des ambiances infernales (le fameux « triton », « diable dans la musique »),
(exemple du triton, quarte augmentée : À la fin Moyen Âge, le triton a été systématiquement évité car jugé trop dur à l'oreille, ce qui lui valut le surnom de « Diabolus In Musica ») En raison de cette association symbolique originelle, les sonorités de l'intervalle ont été, dans l'inconscient populaire, culturellement assimilées à quelque chose de diabolique. Aussi, de nos jours, l'emploi du triton tend souvent à connoter un sentiment « malsain » ou « maléfique », surtout quand sa dissonance est utilisée sans fonctionnalité tonale.
- Apparition de spectres – style musical inspiré de Don Giovanni
Hamlet – Le Roi d’Ys de Lalo (Saint-Corentin) – La Dame de Pique (Tchaikovski), se réfèrent tous musicalement parlant à l’apparition du Commandeur dans Don Giovanni de Mozart.
Zampa de Herold (1831) Scène finale : la statue d’Alice entraîne Zampa au milieu des flammes :gammes chromatiques, cuivres, trombones, roulements de tambours et timbales.
La célèbre scène de l'arrivée du Commandeur dans Don Giovanni de Mozart:
- Des scènes de sorcellerie.
Ex : Un Bal Masqué de Verdi
Dans le Freischütz de Carl Maria von Weber, œuvre fondatrice de l’opéra romantique allemand, la scène de la Gorge aux Loups sert de modèle musical aux compositeurs qui suivront.
A partir du Freischütz, la scène infernale ou fantastique va faire partie de la typologie des situations et styles musicaux.
Pourquoi ce succès du « gothique » à l’opéra ?
- Plaire à un nouveau public
Richard Cœur de Lion de Grétry, créé en 1784, préfigure l’opéra romantique français, en offrant à un nouveau public bourgeois, un divertissement d’un type inédit avec décors gothiques, effets théâtraux (prise de forteresse), romances « modales » qui «font revivre le passé ».
- Spectaculaire : décors imposants et impressionnants. Ex : Eglises gothiques dans les décors de Grand Opéra français.
- Exotisme – dépaysement historique, scénique et musical.
- Retour aux sources nationales. Création d’un « opéra national ». Dans le cas de l’opéra romantique allemand, retour aux sources, histoires et légendes allemandes (Weber/Wagner)
- NB : la volonté de susciter « l’effroi » typique du roman noir gothique est peu pertinente à l’opéra où le public est rationaliste, surtout en France et en particulier dans l’opéra-comique : peu d’intérêt pour le macabre et le morbide.
On trouve de nombreux exemples de « fantastique expliqué », notamment dans l’opéra-comique français (ex La Dame Blanche de Boieldieu (1825), où le fantôme annoncé au départ n’en est pas un…)
L’utilisation de décors et thèmes "gothiques" peut aussi souvent prendre une dimension parodique, dans l’opéra comique ou dans l’opéra bouffe par exemple.
Ex : arrivée de Barbe-Bleue, Offenbach, par Michel Sénéchal.
- Dimension psychologique, voire psychanalytique des décors gothiques, surtout à partir de la fin du XIXème siècle, à l’époque du symbolisme. Les décors de château et forêt sombres deviennent des symboles de plongée dans l’inconscient. Ex : Pélléas et Mélisande de Debussy.
Dans Le Château de Barbe de Bleue de Bartok, l'ouverture des portes du château correspond à une volonté de Judith de plonger dans l'esprit, le passé, l'âme de son époux Barbe-Bleue.
Tout ceci n'est bien entendu qu'un petit aperçu d'un sujet très vaste développé dans ma conférence "le gothique à l'opéra.
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