Le Voyage Lyrique - Découverte de l'opéra

Le Voyage Lyrique - Découverte de  l'opéra

Les plus beaux ensembles de l'opéra : trios, quatuors et plus...

Trios, quatuors, quintettes et plus... Certaines des plus belles pages de l’opéra se cachent au cœur des ensembles vocaux, où les voix des solistes se croisent, s’entremêlent et se répondent, dans des moments qui constituent souvent des instants où l'action s'arrête et où le temps semble suspendu.

Certains compositeurs excellent particulièrement dans cet art subtil. Ces ensembles sont des merveilles d’équilibre, défiant les interprètes par la nécessité de mêler et entrelacer leurs voix sans qu’aucune ne prenne, de manière permanente, la prééminence par sa puissance ou son timbre.

Je vous en propose une sélection personnelle... mais ce sont aussi les plus célèbres !

Masques.jpg

 

Cosi fan Tutte, W.A. Mozart (1790)

L'oeuvre de Mozart foisonne d'ensembles merveilleux, en voici quelques uns parmi mes préférés.  

Trio "Soave sia il vento"

Le troisième opéra de la Trilogie Da Ponte contient l’un des plus beaux trios mozartiens.

Pour tester la fidélité de leurs belles, Guglielmo et Ferrando décident de faire semblant de partir pour la guerre. Alors que leur bateau feint de s’éloigner dans la baie de Naples, les deux femmes éplorées, Fiordiligi (soprano) et Dorabella (mezzo), leur adressent de tristes adieux.

Don Alfonso, le grand orchestrateur de cette méchante farce, n’est pas dupe et mêle sa voix de basse aux leurs.

"Que le vent soit doux, l’onde tranquille et que tous les éléments soient favorables à nos désirs."

Cette « onde tranquille » est illustrée par un ostinato des violons à l’orchestre.

Alors que les trois voix se mêlent et s’enlacent, prêtez attention à cette petite dissonance, à cet accord si tendu et expressif (la sixte napolitaine) souligné par les vents sur le mot désir… car la question du désir féminin est au cœur de toute l’histoire !

 

Don Giovanni, W.A.Mozart (1787)

"Trio des masques"

Tout comme dans Les Noces de Figaro et Così fan tutte, les ensembles magnifiques abondent dans Don Giovanni. En voici un en particulier : le trio des masques.

Donna Anna (soprano), Donna Elvira (soprano) et Don Ottavio (ténor) commencent à nourrir de sérieux soupçons à l'égard de Don Giovanni. Pour en avoir le cœur net, ils décident de s’introduire masqués à l’une de ses fêtes afin de le surprendre en flagrant délit de débauche. Avant de se lancer dans cette audacieuse entreprise, ils implorent le soutien de Dieu.

Tandis que les deux aristocrates affichent une sérénité apparente, Donna Elvira, en revanche, est plus tourmentée. Sa ligne de chant, qui vocalise nerveusement par-dessus les deux autres voix.

 

Die Meistersinger von Nürnberg, Richard Wagner (1868)

Quintette : "Selig wie die Sonne"

Les ensembles sont assez rares chez Wagner, mais celui-ci est une exception de toute beauté. 

Il est situé à l'acte III des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. 

Eva (soprano), Sachs (baryton), Walther (tenor) et les deux serviteurs David (ténor) et Magdalene (mezzo-soprano) célèbrent l'amour et l'amitié, et la paix intérieur  dans une pièce à l'ambiance sereine, presque mystique. Les voix s'y entrelacent avec une douceur exceptionnelle, dans un contrepoint soigné qui donne une impression d’apesanteur et de bienveillance, une sorte d’élan vers la transcendance. C'est un moment de grâce mais aussi un clin d’œil de Wagner au style polyphonique des Maîtres Anciens et un hommage à la tradition musicale.

 

Le Chevalier à la Rose, Richard Strauss (1911)

Trio "Hab’ mir’s gelobt" 

Ce célèbre trio, situé vers la fin de l'acte III réunit les trois personnages principaux : la Maréchale (soprano), Octavian (mezzo) et Sophie (soprano). À ce moment, la Maréchale renonce avec noblesse à son jeune amant Octavian, acceptant la réalité de son amour naissant pour Sophie, malgré la tristesse que cette séparation lui inspire.

L'écriture vocale et orchestrale est d'une extraordinaire délicatesse. Strauss crée une polyphonie complexe, où chaque ligne vocale exprime des émotions nuancées : la dignité douloureuse de la Maréchale, l'innocence et l'amour pur de Sophie, et le conflit d’Octavian, tiraillé entre ses sentiments pour les deux femmes.

 

Rigoletto, Giuseptte Verdi (1851)

Quatuor "Bella figlia del amore"

Ce quatuor est proprement génial : quatre personnages très différentes, chantent en même temps des mélodies différentes sur des paroles différentes. 

Nous sommes à l'acte III. Le bouffon Rigoletto veut se venger du Duc de Mantoue qui a déshonoré sa fille Gilda. Il l'a donc payé un tueur à gages, qui, pour attirer sa proie dans son repaire de banlieue, a utilisé sa soeur, la belle Maddalena. 

Le Duc, arrivé incognito, réclame donc cette fille et du vin, et entreprend de la séduire par une belle phrase, longue et envoutante de ténor italien (Belle fille de l'amour). La gitane (mezzo), qui en a vu d'autre, répond par de petits rires piqués dans les graves. Gilda, qui écoute depuis l'extérieur, est consternée et sanglote (ses hoquets montent dans les aigus), son père lui répond en bougonnant et grondant dans les graves de sa voix de baryton (inutile de pleurer, je prépare la vengeance).... et tout cela en même temps. 

Voici un extrait du film de Ponnelle avec l'inégalable Pavarotti dans le rôle... qui a l'air de vouloir manger Maddalena !

 

Don Carlo, Giuseppe Verdi. (Version italienne 1884)

"Ah ! Sii maledetto, sospetto fatale"

Le roi Philippe II est persuadé que son épouse, la reine Élisabeth, le trompe. Il en tient pour preuve le coffret de bijoux de la reine, subtilisé et livré par la princesse Eboli. Furieux, il menace et violente Élisabeth, qui s’évanouit sous l'outrage.

C’est alors qu’il réalise l'étendue de son erreur. Surgissent Eboli, rongée par le remords, et Rodrigue, le valeureux marquis de Posa, qui ose lui faire remarquer qu’un roi se doit de savoir se maîtriser. Commence alors un superbe quatuor, où chaque personnage, entrant l'un après l'autre, expose dans un ton parlando l’état de sa pensée avant que l’ensemble ne prenne peu à peu un puissant élan mélodique.

Le roi exprime son remords avec gravité : « Ah, soit maudit, soupçon fatal, œuvre d'un démon infernal, non, elle ne m'a pas été infidèle. » Consterné, il explore les profondeurs de sa tessiture de basse chantante, conférant au passage tout le poids de son désespoir.

La princesse Eboli, rongée par la culpabilité, s'exclame avec intensité : « Je l’ai trahie, je l’ai perdue, ô remords fatal ! » Son puissant mezzo gronde, exprimant sa fureur et sa honte.

Rodrigue, de son côté, décide qu’un geste sacrificiel s’impose pour sauver l’Espagne. Sa voix de baryton, ferme et empreinte d’espoir, se fait ronde et suave, soulignant sa résolution d’offrir sa vie pour des jours meilleurs.

Enfin, la reine, revenant à elle, entrevoit la seule paix qui lui reste : celle du ciel. Sa voix de soprano s’élève alors au-dessus de toutes les autres, conférant une touche éthérée à ce sublime ensemble.

 

Don Carlos, Verdi (version française 1867)

La version d'origine, en français, était un peu différente, laissant d'abord la voix de basse s'élever dans une intense mélodie.  Je vous laisse comparer. 

(José Van Dam, Thomas Hampson, Waltraud Meier, Karita Mattila, dir. Pappano)

 

La Bohème, Giacomo Puccini (1896)

Quatuor final de l'acte III

Voici un quatuor pour le moins original, qui fit d’ailleurs scandale à l’époque en raison du mélange audacieux de styles comique et tragique.

Rodolphe et Mimì, conscients de l'impossibilité de vivre ensemble, prennent la douloureuse décision de se séparer une fois le printemps venu. Leur chant se déploie dans une douce mélancolie, teintée d’un lyrisme poétique, exprimant les regrets et la tendresse de l’adieu. En contrepoint, le second couple de bohèmes, Marcello et Musetta, se livrent à une querelle passionnée, témoignant de l’instabilité de leur amour orageux et ponctué de disputes.

À la mélancolie tendre du premier couple répond la verdeur vivante des seconds, créant un contraste saisissant qui donne à ce quatuor une intensité dramatique inoubliable.

 

Les Contes d'Hoffmann, Jacques Offenbach

Septuor "Hélas, mon coeur s'égare encore"

Grand amoureux, le poète Hoffmann s'était bien juré pour cette fois de ne pas céder à la tentation, et de rester insensible aux charmes de la courtisane vénitienne Giulietta... Mais ses bonnes résolutions se délitent rapidement, et il succombe à cette séduction envoûtante, bien que le prix à payer soit terrible : il doit sacrifier son reflet.

Ce moment musical, unique en son genre, voit la rencontre de sept voix dans une valse obsédante qui s'intensifie progressivement et dont le rythme semble vouloir illustrer l’attirance fatale qui entraîne Hoffmann vers la perte.. Tout commence par le désespoir intérieur du poète : "Hélas, mon cœur s'égare encore...". Puis intervient la voix du Diable Dappertutto, le responsable de tous ses malheurs, qui observe la scène avec condescendance, tandis qu'une Giulietta désabusée se joint à eux, suivie par d’autres personnages.

Cet ensemble étrange à l'aura un peu spectrale  culmine au retour de la célèbre mélodie de la barcarolle.

 

Norma, V. Bellini (1831)

Trio « Oh di qual sei tu vittima »

La jeune prêtresse Adalgisa (Mezzo ou soprano) est tombée sous le charme d’un beau romain. Elle se rend donc chez la grande Druidesse Norma (soprano dramatique d'agilité) pour la supplier de la libérer de ses vœux. Celle-ci serait prête à accepter… mais lorsque le Romain en question surgit, elle constate qu’il s’agit de son propre amant, le proconsul Pollione (ténor) dont elle a eu deux enfants. Evidemment, Norma se répand en imprécations, lui est plutôt gêné, et la jeune fille est atterrée.. tout cela sur la même phrase musicale comme le veut la tradition du Bel Canto romantique… (nous ne sommes pas encore chez Verdi où les phrases musicales seront différenciées).

La scène qui suit clôt l'acte I : Pollione, sûr de lui, veut partir avec Adalgisa, celle-ci refuse catégoriquement, et Norma le maudit. 

Pollione: Fabio Armiliato

Norma: Daniela Dessì

Adalgisa: Kate Aldrich

Direction : Evelino Pidò

 

 

Lucia di Lammermoor, G. Donizetti (1835)

"Chi mi frena in tal momento"

Retour au Bel Canto enfin avec un autre célèbre sextuor avec choeur 

Lucia aime follement Rodolphe, mais il est l'ennemi héréditaire de sa famille. Aussi son frère a-t-il décidé de la marier pour raisons politiques à un autre noble puissant : Arturo. 

Alors que la pauvre Lucia, résignée n'a eu d'autre choix que de signer le fatal contrat de mariage, Edgardo fait irruption au milieu de la cérémonie, créant un de ces moments de stupéfaction typiques de ce répertoire. 

Après une courte introduction en pizzicati, lançant un rythme lancinant avant que la première phrase mélodique est annoncée par le ténor Edgardo et le baryton Enrico.

Lucia reprend le thème avec un désespoir palpable. Ils seront rejoints par Arturo (ténor), le prêtre Raimondo (basse), la suivante Alisa (mezzo) et le choeur.

Une nouvelle phrase musicale d'Enrico exprime ses tardifs regrets "Elle est mon sang et je l'ai trahie", avant que l'ensemble ne soit dominé par les sanglots aigus à contretemps de la malheureuse épousée.

 

Ceci ne constitue bien sûr qu'une modeste sélection que je ne manquerai pas d'élargir. 

En attendant, n'hésitez pas à consulter mes autres articles !

https://www.levoyagelyrique.com/articles-lyriques

Bien à vous, 
Julia Le Brun



29/10/2024
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